Chapitre 5 - #9

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Sélène se dressa doucement dans son lit, endolorie. Ses yeux embrumés la brûlaient et elle mit un certain temps avant de prendre totalement conscience de son environnement. Visiblement, elle avait survécu aux opérations. Elle expérimenta les sensations de ce corps toujours perdu entre rêve et réalité posant une main sur son front pour prendre sa température. Tout apparaissait normal. Ce cauchemar - ou cette vision - la troublait. Venait-elle d'halluciner la disparition de ses défunts parents sous un autre point de vue ? Peut-être un effet secondaire de l'appropriation du Venom par son corps.

Un rapide examen de ses bras lui permit de constater que les cicatrices laissées par la boucherie organisée de Kain s'étaient déjà bien refermé pour ne laisser dans leur globalité que des traces sur sa peau. Quelques croûtes et plaies étaient encore visibles sans constituer la majorité de ses séquelles. Combien de temps avait-elle pu rester inconsciente ? Inutile de s'en inquiéter, elle était en vie. La jeune femme sortit de son lit rapidement et se dirigea vers la porte de sortie sans s'inquiéter de sa tenue. Muée par un désir incompressible de s'évader de cette chambre destinée aux mourants, elle laissait son instinct la porter sans même s'interroger.

Avant même qu'elle n'en prenne conscience, sa peau s'était couverte d'une substance noire pour se transmuter d'elle-même en vêtements très semblables à ceux qu'elle portait durant son séjour à Cutter's Lane. Un pantalon militaire ample et un débardeur pour toute compagnie. Le reste était superflue. L'apparente souffrance de ses muscles lui était bien égal, elle ouvrit la porte et se retrouva dans un couloir blanc caractéristique. Guidée par quelques étranges sensations, elle tourna à droite. Elle passa devant une première vitre donnant sur une chambre, elle était vide. 

La seconde, elle, était occupée mais par un individu qu'elle ne parvenait pas à identifier autrement que comme l'un de ceux qui les avait accompagné dans cet enfer. Après trois nouvelles pièces vides vint enfin la salle tant recherché. Sélène s'arrêta, presque obsédée, devant la vitre donnant sur la chambre d'une jeune femme blonde. Celle-ci dormait paisiblement et semblait très bien se porter, il s'agissait bien sûr d'Amélia. Ainsi donc, elle avait survécu. La pensée qu'elle ne s'en tire lui avait traversé l'esprit alors qu'elle-même se trouvait sur la table. Maintenant que le Venom courait dans ses veines, Sélène ressentait une sorte de pulsion étrange envers sa camarade.

De quoi s'agissait-il ? Un désir de protection, un désir de garde. On aurait pu le décrire comme une cruelle nécessité s'imposant à soi, comme un automatisme, le même qui s'impose à tout être humain lorsqu'un membre de sa famille - la chair de sa chair - venait à être mis en danger. C'était ainsi qu'elle la percevait désormais. Ce sentiment irrationnel lui était inconnu, à elle, qui s'était promis de ne plus se laisser influencer émotionnellement depuis la disparition de ses parents. Sélène posa la main sur la vitre, pensive. Elle entendit un bruit à l'autre extrémité du couloir et tourna machinalement la tête, telle une bête prise au piège. L'homme qu'elle aperçut en train de s'approcher lui était familier.

S'agissait-il bien de Seth ? Son visage était le même mais son corps avait profondément changé. Il lui apparaissait plus grand, ses muscles étaient bien plus saillants qu'autrefois et il se dégageait désormais de lui une impression de puissance à peine voilée. Son visage, terne, s'illumina cependant de son sourire traditionnel lorsqu'il fut suffisamment proche pour discerner concrètement les contours de son visage. Elle attrapa ses cheveux noirs et les coiffa en queue de cheval, sans trop savoir pourquoi cette envie lui était venue. Son camarade se planta devant elle. Il était, effectivement, plus grand d'une dizaine de centimètres et la dépassait largement désormais.

- Salut Sélène. Dit-il, elle lui rendit un hochement de tête.

- Tu es plus grand... et tu as pris en masse sauf erreur de ma part.

- Non, tu as raison. Conséquences de mon entraînement, les changements ont été rapide mais tout s'est stabilisé il y a quelques jours. Je pense que ma métamorphose corporelle s'arrêtera là. Expliqua-t-il.

- L'entraînement ? Elle marqua une pause. Tu es donc sorti du coma plus vite que moi.

- C'est ça, je suis debout depuis un peu plus de deux semaines. Tu n'es pas en retard, c'est mon réveil qui a été exceptionnellement rapide. J'ai mis du temps à m'habituer à ma condition alors que tu sembles te mouvoir assez facilement, instinctivement.

- Deux semaines ? Elle dodelina de la tête et reporta son visage vers Amélia, il l'imita. Pour tout te dire, je fais avec. Je sens que mon corps a changé mais il me répond seul sans que je n'ai rien à faire.

- C'est impressionnant. 

- Tu trouves ? Pour moi, il n'y a rien de dingue là-dedans mais si tu le dis... comment va-t-elle ? Seth regarda Amélia avant de répondre.

- Bien. Physiquement en tout cas. 

Sélène regarda son compère qui n'en dit pas plus, elle émit un soupire audible. Cette réponse ne lui suffisait pas. Il s'en aperçut et haussa les épaules.

- Je n'en sais pas plus, à vrai dire, inutile de me regarder comme ça. Selon Jaëger, ses fonctions vitales sont plus que satisfaisantes et il n'y a aucun signe de dégradation de son état. Si elle ne se réveille pas, c'est que sa psyché n'est pas prête à un éveil. La période normale d'incubation du Venom va de quelques jours à un mois. Il n'y a rien d'alarmant dans son état si c'est ce qui t'inquiète.

- Parfait, c'est tout ce que je voulais savoir. Et Dante ? Se soucia-t-elle, haussant un sourcil.

- Endormi aussi mais son état est moins stable, son corps accepte plus difficilement la mutation. Jaëger est moins optimiste pour lui.

- Tu m'en vois navrée, sincèrement. C'est un ami fidèle depuis plusieurs mois et je me sentirai vraiment mal s'il lui arrivait quelque chose. Enchaîna la jeune femme, empathique. Tu as dis que tu t'entraînais ?

- Exactement. Tu te souviens de Baalh ? Le Spectre qui m'avait mis en morceaux ? Il a proposé de m'aider à faire ressortir mon potentiel, j'ai accepté. Nous suivons des séances régulières et son aide m'a été précieuse dans les premiers temps pour m'adapter à ce nouveau corps.

L'esprit de Sélène se perdit un instant dans ses pensées et repensa à son rêve. L'individu indescriptible avec l'Uraeus possédait une tenue noire, était-ce en lien avec la couleur des Spectres ? Avait-elle seulement halluciné ou son instinct nouvellement créé lui avait-il lancé un message ? Pourrait-elle élucidé le mystère de la mort de ses parents et trouver le responsable ? Son sang ne fit qu'un tour et, s'abandonnant à ses instincts de progéniture lésée, elle haussa le ton en direction de Seth.

- J'ai besoin de rencontrer les Spectres. Tout de suite.

- De quoi tu parles ? Tu crois peut-être qu'on peut les approcher comme ça ?

- Ton visage a traduit une certaine sympathie pour Baalh à l'instant, je présume que tu sais où je peux les trouver. Je n'ai rien contre eux. Je dois juste leur parler. Aide-moi. Expliqua-t-elle, expéditive.

- Si c'est ce que tu veux, viens avec moi. Mais tu vas devoir tout m'expliquer en chemin...

- Comme tu voudras.

Sur ces quelques mots, ils se mirent en route vers l'Aile des Spectres. Un sentiment de plaisir, presque d'excitation, envahissait lentement l'esprit encore embrumé de Sélène. Jamais, au grand jamais, elle n'aurait pu espérer être plus proche d'une révélation concernant ses défunts géniteurs. Son corps frémissait et aurait presque tremblé si elle ne l'en avait empêché pour ne pas perdre la face devant Seth. Ses propos la faisait tout de même réfléchir.

Si lui avait eu du mal à bien se saisir des métamorphoses liées à l'opération, elle, parvenait à s'y accoutumer sans même y penser. L'évolution du Venom dépendait véritablement des capacités et de l'instinct de chacun. Était-ce ses longues années à devoir survivre seule qui l'avait ainsi forgé ? Après tout, le destin ne l'aurait-il pas conduit ici en ricochet de sa longue histoire ? Elle fut prise d'un soudain soupçon de méfiance.

Tout ne s'enchaînait-il pas, encore, comme une évidence... ?

Hellions : partie 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant