Chapitre 4 - #16

489 80 4
                                    

Amélia s'abandonnait au silence et une sorte de désespoir grandissant commença à s'emparer d'elle. Était-ce vraiment cela, la réalité du programme Hellions ? L'unique moyen de tuer les démons qui lui avait tant pris était donc de mêler son propre génome au leur ? Pour détruire l'horreur, fallait-il vraiment l'embrasser ? Cette abominable contradiction remettait presque en cause sa motivation originel. Tout ceci l'étreignait.

- Qu'est-ce que ça signifie à la fin ?! Cria-t-on alors dans l'assistance, l'un des vingts s'était levé en pointant Kain du doigt. La jeune fille s'extirpa de ses doutes pour le regarder.

Elle ne le connaissait pas, ou très peu. C'était un grand jeune homme d'une petite vingtaine d'année dont la fougue impétueuse reflétait la trahison manifeste qu'il ressentait à l'égard de celui qui leur avait tant promis.

- Vous n'êtes qu'un rapace en définitive. Un esprit malade qui compte nous transformer en monstre ! Votre petite mascarade me fatiguait déjà lorsque nous sommes arrivés. Tout ça. Votre Centre, vos épreuves, vos jeux, vos aspirations. Tout ça, c'est du vent. Vous ne valez pas mieux que ces illuminés qui manifestent en place publique pour réclamer la fin des Immortels et de l'Empereur !

Le professeur resta stoïque face à ces accusations, les mains accrochées à son pupitre. Son absence de réaction irrita l'initié qui renchérit immédiatement.

- Si vous êtes aussi brillant savant que vous prétendez l'être alors vous avez forcément déjà étudié tout ça, non ? Vous saviez qui vous vouliez à Cutter's Lane. Vu notre situation, je suis résigné. Je vous accuse d'être directement responsable de nos affectations à Noth et d'avoir prémédité tout ce qui nous est arrivé. Qui nous dit que vous n'êtes pas non plus responsable de la destruction de notre ancienne base ? On ne va pas rester ici à vous regarder nous transformer en skryn les uns après les autres ! Pourquoi vouloir toujours employer des jeunes par dessus tout ? Faites donc vos tests sur vous-même pauvre cinglé ! Beuglait-il à s'en écorcher la voix, nul ne le suivait cependant. On écoutait et on jaugeait.

- Votre analyse est erroné en plusieurs points. Je puis admettre que cette révélation vous choque mais je ne vous laisserai pas m'accuser à tord et à travers sans répondre. Je suis tout aussi effondré que vous pour Cutter's Lane et je n'aurai jamais pris le risque de détruire une base entière pour satisfaire mes besoins aussi cupides soient-ils. N'oubliez jamais que je sers avant tout l'Humanité et j'insiste sur ce point. Le coupa sèchement Kain, formulant sa réponse sur un timbre ferme et assumé.

- Si je n'emploie pas mes travaux sur des personnes plus âgés c'est bien parce que le taux de rejet du Venom approche les 100% dans le cas où un sujet dépasse les 25 ans. Les raisons nous échappe encore pour la plupart mais sachez que ce n'est pas de gaieté de cœur que je pratique des interventions sur de jeunes gens plein de vie. Vous me voyez comme un monstre ? Sachez qu'aujourd'hui les hellions forment la seconde ligne de défense la plus efficace pour nous à l'intérieur d'Horizons. Jugez la façon dont ils sont venus au monde autant que vous le voudrez mais ne remettez pas en cause les bienfaits des risques qu'ils ont pris. Le professeur marqua un silence reprenant, plus solennel.

- Chacun de ceux qui ont donné leur vie pendant ou après leur transformation ont aidé l'Humanité à avancer d'une façon ou d'une autre. Ne comparez pas mes enfants aux skryns. Vous ne trouverez pas d'humains plus vibrant que les hellions. Le Venom n'est pas une malédiction qui vous transformera en bête, c'est un présent qu'il vous faudra dompter pour détruire les choses qui menacent de tous nous éradiquer. Est-ce suffisamment clair, maintenant ?

Le véhément retrouva son siège et attrapa sa tête dans ses mains. Avec lui s'éteignait, sans doute, la dernière fibre de courage dont les vingt sélectionnés était encore capable. L'argumentaire de Kain, culpabilisant envers eux, ne leur laissait pas beaucoup d'échappatoires. Ils avaient tout perdu à Shion, ils avaient vu l'horreur et avaient pris une décision. Ils s'étaient même faufilé à travers le jeu sournois du professeur pour arriver au cœur du Centre. Maintenant qu'ils étaient ici la confidentialité s'appliquait d'autant que les pré-injections de Venom avait déjà commencé. Leur destin était scellé.

Tout se passa assez vite. A la suite de cet "rébellion" Kain acheva de leur souhaiter bonne chance et les congédia. Dépités, la plupart des initiés choisirent de s'isoler ici ou là par petite bande. Amélia se dirigea, de son côté, vers sa chambre où elle fut rejointe par Séléne, Seth puis Dante. Ils se dévisageaient sans vraiment savoir comment aborder cette épineuse question qui les tourmentait : que faire ? Plus précis encore, que devaient-ils penser ? Amélia fit un tour d'horizon.

Seth, qui avait pris pour vecteur principal la haine des skryns, se retrouvait aujourd'hui à devoir jongler entre ses principes et l'inéluctable mélange de ses gènes avec celui des abominations qu'il avait juré de détruire.

Dante, dont les motivations demeuraient obscures, avait toujours affirmé son besoin d'indépendance. Devoir s'abandonner à une puissance occulte et mal comprise ne lui plaisait guère.

Sélène, enhardie par sa soif de vengeance, était maintenant prisonnière de ses propres ennemis. Tiraillée par l'inévitable.

Et elle, dans tout ça ? La jeune fille se demanda, alors, comment son grand-père aurait jugé son évolution depuis Shion. Aurait-il approuvé ? Aurait-il été inquiet ? Lui aurait-il conseillé de retourner dans le civil dès le début ? Elle, qui n'avait jamais eu l'âme d'une militaire ou d'une guerrière, s'était abandonné aux corps armés pour y développer son savoir des skryns. Ses expérimentations seraient donc poursuivies, en un sens, par sa fusion avec une essence de l'un d'eux. N'était-ce pas la preuve d'un ultime zèle à la cause ? Elle se moqua de ses propres aspirations.

- Cela ne change rien. Lança Seth, à la surprise générale. Collé contre un mur, il semblait s'être fait une raison.

- Tu es sûr de toi ? Tu as tant souhaité les détruire... devoir mêler ton sang au leur ne t'affecte pas ? Répondit Dante, soucieux.

- Cela me préoccupe bien évidemment... mais il suffit de faire un bilan rapide de nos options pour comprendre que l'acceptation de cette réalité est notre meilleure option.

- Tu crois que ce couperet final est un dernier test ? Interrogea Sélène, relevant la tête de ses bras.

- Difficile à dire mais je sais que si nous allons à la boucherie avec un esprit faible et récalcitrant alors nos chances d'accepter le Venom seront compromises. J'en suis certain.

- Nous devons faire front. Cette adversité est sans doute notre dernière épreuve. Croyez-moi, au fond, cette information ne change rien... notre situation n'en est pas meilleure et pas pire. Conclut Amélia, recevant une approbation généralisée mais timide.

Les quatre amis avaient vu et vécu trop de choses pour se laisser abattre. Ils prirent une heure, ensemble, afin de se recentrer et de partager quelques instants. Un café, un livre, un débat. Chaque distraction était bonne à prendre. Vint l'heure fatidique, Jaëger appela et ils se mirent en marche vers l'aile ouest.

Ils s'apprêtaient à jouer leur vie.


Hellions : partie 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant