* * *
Au cœur d'une gorge abyssale où s'étaient autrefois tenus des rails et des pylônes de métal, Ren avançait lentement au milieu des décombres et des cadavres encore fumants. Ses yeux couleurs raisins pourpres ne s'arrêtaient même plus sur les corps lacérés et à demi-consumés qui se trouvaient autour de lui. Certains jonchaient le sol comme des pierres abandonnées, d'autres étaient empalés ici ou là sur ce qu'il restait des artifices d'acier qui soutenaient les anciennes structures du train inter-cité. Il n'y avait plus trace de vie ici. Cependant, ce n'était pas un mal, car les cadavres qui s'étalaient à ses pieds n'étaient pas ceux d'êtres humains. Ils étaient noirs, gorgés de mucus, dégoulinant de pue orangé : des skryns. Combien y'en avait-il ?
Des centaines, peut-être un millier ? Les pauvres erres avaient tenté de rejoindre leur prochaine cible en empruntant les canaux réservés aux navettes de marchandises et au transport militaire. Malheureusement, ils n'avaient sans doute pas prévu de tomber sur un adversaire plus redoutable qu'eux. Le Spectre fut, quelque part, pris de pitié pour ces créatures. Nul n'avait jamais réussi à communiquer avec elles mais certains, dont Kain, continuaient à penser qu'elles étaient douées d'un intellect primaire et de sensations. Qu'avaient-elles bien pu ressentir, alors, lorsque leur nombre écrasant avait été balayé ? De la terreur sans doute.
Il marchait ainsi depuis une bonne heure et le nombre de corps ne désemplissait pas. Il n'y avait guère qu'un seul être capable de faire passer un assaut majeur des skryns pour une banalité absolument affligeante. Il avait passé ce dernier mois à le chercher sans parvenir à mettre la main dessus. De champs de batailles en champs de batailles. De barricades en barricades. De plaines désolés en mausolée sinistres. Chaque fois il l'avait manqué mais chaque fois il n'avait laissé qu'un tapis de mort et des cendres fumantes derrière lui. Ren lança un regard à l'architecture de ce tunnel à toit ouvert : il était censé accueillir simultanément deux à trois trains lancés à pleine vitesse. Le métal composant les railes, couvrant les murs et formant les pylônes de maintient n'avait pas résisté à la bataille. La grande majorité de celui-ci était parti en fumée ou avait été réduit à l'état de poussières si bien que la roche dans laquelle avait été creusé ce passage apparaissait au grand jour.
Poursuivant son avancée, il finit par apercevoir quelque chose au loin, une formation rocheuse. C'est du moins ce qu'il crut jusqu'à s'en approcher suffisamment pour se rendre compte de sa méprise. Ce n'était pas un amas de gravats de roches mais bien une immense pile de cadavres de skryns. Il s'arrêta. Cette montagne miniature constituée des corps en décomposition de ces créatures devait mesurer au moins vingt-cinq mètres de haut. Il était impossible de dire, au vu de l'état des corps, combien d'aberrations étaient entassées ici. Ren reprit sa marche et nota que plus il approchait, plus l'odeur du métal brûlé et de la chair calcinée se renforçait. Un petit vent balaya la crevasse évacuant une partie de la puanteur sans parvenir à la dissiper complètement. La bataille avait été rude mais ne s'était achevée que récemment. En témoignait, d'ailleurs, la fumée qui émanait encore des corps.
Il s'arrêta aux pieds de l'imposant monticule et leva les yeux. Il distinguait deux formes, l'une assise tout en haut de la montagne et l'autre, à mi-chemin, se prélassant avec avidité dans un trône improvisé taillé à même la chair des bêtes défuntes. Pire encore, des marches avaient presque été réalisées dans l'amas de matière noire dégénérée pour créer un escalier menant jusqu'en haut. Ren l'emprunta d'un pas assuré et fut étonné de son apparente solidité. A mesure qu'il grimpait, la silhouette à mi-chemin se fit plus clair et il ne fut pas étonner de voir de quoi il s'agissait.
Confortablement installée dans son trône de cadavres, une femme d'environ vingt-sept ans. Elle se distinguait par un visage en amande très fin. Ses expressions trahissaient la malice, le désir mais aussi une irrépressible sauvagerie. Une ligne noire était tatouée de sa lèvre inférieure jusqu'au bas de son menton. Sous ses paupières avaient été dessiné des traits d'un violet améthyste indécent. Pareillement, ses longs cheveux noirs parfaitement lisses étaient parsemés de mèches de ce même violet. Fêtant victorieusement le triomphe sur les skryns, elle avait abandonné le manteau et la tenue traditionnelle des Spectres pour ne conserver qu'une tenue à peine décente au regard de Ren. Un simple bandeau sombre couvrait sa poitrine dont le haut du sein droit était orné d'un autre tatouage : un uraeus. Quelques bandes de tissus, à peine suffisantes pour cacher le reste de ses sous-vêtements, lui servaient de pantalon. Plantés à sa droite, deux sabres consciencieusement rangé dans leur fourreau.
VOUS LISEZ
Hellions : partie 1
Science FictionUn monde parfait. Un quotidien idyllique. Une jeune fille insouciante. Une tragédie. A une époque où la technologie frôle le fantastique et où les normes segmentent la société selon un équilibrage presque parfait, certains se plairaient à dire que l...