Hellions : partie 1

Chapitre 5 - #17

Le trio resta interloqué un instant. Jaëger étant une IA, il était évidemment impossible de détecter la moindre variation dans sa voix et l'absence de changements dans sa représentation holographique interdisait toute théorie. Il restait planté là, neutre. Allen fut le premier à briser la glace, il s'approcha de lui, véhément.

- Jaëger, qu'est-ce que ça signifie ? Qu'est-ce qui se passe ? Pourquoi es-tu absent ? Qu'est-ce qui est inéluctable ? Je t'ordonne de me répondre.

- Votre énervement ne mènera nul part je le crains, jeune maître.

"Jeune maître" l'expression intrigua Dante qui lorgna vers son aîné sans bien comprendre à quoi cela faisait référence. Davantage troublé par les derniers paroles de l'IA que par cette affirmation, il se força à l'ignorer pour mieux se concentrer sur le moment présent.

- Alors réponds-moi. Qu'est-ce que tout ceci signifie ? As-tu averti Kain ? 

- Le professeur a été tenu au courant mais pour sa sécurité je laisserai les portes du Centre close jusqu'à ce que l'infection skryn soit contenue.

- Tu as activé le verrouillage d'urgence ? Jaëger, la menace a été géré par Meta et les recrues. Déverrouille tes protocoles ! Ordonna le jeune homme aux cheveux d'argent, perdant très clairement patience, irrité plus qu'il n'aurait dû l'être.

- Détrompez-vous jeune maître. L'essence skryn est toujours présente dans le Centre et je me dois de contenir sa progression aux niveaux supérieurs. 

Allen se figea et observa Road, celle-ci se pinça la lèvre inférieure et s'approcha à son tour de l'hologramme.

- Meta a-t-il été tué ? Demanda-t-elle alors.

- Négatif. Il est toujours en vie. Il s'est rendu à l'infirmerie, je l'ai donc placé à l'isolement.

- A l'isolement ? Pourquoi ? Reprit Allen.

- J'ai jugé nécessaire de le maintenir sur place pour optimiser sa remise sur pied et confirmer qu'il n'a pas été touché par l'essence contaminée. Vous-même avez été en contact avec elle, jeune maître. Vous devez être examiné dans les plus bref délais.

- Mais qu'est-ce que tu racontes ? Tu as perdu la raison ? Jaëger ! Les protokyns sont morts alors déverrouille-toi !

- Les cellules skryns sont toujours en activité à l'infirmerie en ce moment même. Elles sont sous contrôle et elles seront bientôt éliminées. Je veille à votre sécurité comme mes protocoles me l'ordonne. Une fois ma routine achevée et le Centre stérilisé, je vous libérerai. Ne résistez pas.

Allen fit signe à ses deux compères de reculer. Son visage était grave, stressé et passablement inquiet. Ils firent quelques pas et lorsqu'ils furent suffisamment loin de l'hologramme, ils purent s'exprimer.

- Il a totalement pété les plombs... Conclut Road, croisant les bras. Nous devrions forcer le passage vers la console centrale et désactiver ses protocoles. Tu peux le faire, je suppose ? Demanda-t-elle à Allen qui soupira.

- Je ne vois aucun dispositif de défenses mais je suppose qu'il peut en activer. Je ne suis pas contre m'attaquer à cette console mais peut-on y arriver à trois ? L'interrogea Dante qui commençait à peine à se remettre de son expérience passée.

- Sans doute mais je préférerai que tu restes en arrière pour cette fois. S'il te plaît. Lui dit-elle affectueusement à sa grande surprise.

- Je ne suis pas un être fragile à défendre, je peux me rendre utile.

- Pas avec ton bras droit dans cet état, tu vas nous gêner. Nous nous en sortirons très bien. Je crois que tu devrais vraiment rester en arrière. Qu'en dis-tu, toi ? Elle tourna la tête vers l'autre protagoniste, celui-ci conservait la mine basse, pensif.

Allen marmonnait sans leur répondre, il pensait, posait des questions et se répondait seul tel un fou. Lorsque, enfin, lui vint la conclusion de ses multiples errances spirituelles, il prit le temps de s'exprimer.

- Nous devons désactiver les protocoles d'urgence de Jaëger et je suis en mesure de le faire. Il faut cependant avoir conscience de ce qu'il vient de nous dire. Je ne crois pas qu'il soit défectueux en fin de compte.

- Qu'est-ce que tu veux dire par là ?

- Ma contamination probable, celle de Meta, la présence des protokyns. Il y a un élément en commun là-dedans. Cela ne m'a pas sauté aux yeux au début... pourtant, c'est limpide.

- Qu'est-ce que tu veux dire, Allen ? Explique-toi. Tu vois bien que Jaëger nous considère comme des ennemis. Il cloche. Répliqua Dante, incapable de comprendre clairement ce que lui disait son aîné, il tourna tête vers Road pour chercher du soutien mais le visage de la jeune femme affichait une mine préoccupée.

Les deux hellions se fixèrent, visiblement en pleine symbiose. Dante eut alors la sensation que quelque chose se passait, il croyait les entendre parler mais leurs lèvres ne bougèrent pas. Son esprit fut à nouveau plongé dans un chaos imperceptible et indescriptible. Que se passait-il ? Son instinct lui intima de se concentrer, son esprit tentant de déchiffrer la chose qu'il ne pouvait appréhender. Cette contradiction de ses sens originels lui provoqua des maux de tête. Il les regardait, tour à tour. Eux, l'ignorait, comme aspirés dans un plan dont ils le bannissaient par leur simple mépris. Il tenta de calmer le tumulte des émotions et le tourbillon incessant de songes qui le tourmentaient. Il se focalisa et commença à entendre. Ses oreilles ne fonctionnaient pas et c'est bien sa psyché qui, par voie de relais, avait fini par supplanter cet organe inférieur.

- Est-ce ainsi que tout se terminera ? Parvint-il à entendre, la voix de Road devenait plus limpide à chaque instant.

- Nous n'avons pas le temps de débattre. C'est elle la clé. Il n'y a que cette solution. Rétorqua Allen.

- Je crois qu'il entend. Poursuivit la jeune femme.

Les deux paires d'yeux se braquèrent sur lui et Dante eut la sensation d'être projeté à des dizaines de mètres... sans que son corps n'eut bougé un seul instant. Sa psyché s'écroula et ses sens les plus primaires revinrent sur le devant de la scène. Il recula, subitement méfiant.

- C'est de la télépathie... est-ce cela votre si précieux don ?

Le regard noir et préoccupé, les deux hellions le regardèrent mettre de la distance entre eux sans s'approcher davantage.

- Qu'as-tu entendu ? Demanda Allen, suspicieux.

- Suffisamment... je n'ai pas besoin d'en entendre plus pour comprendre. 

Et il disait vrai car à mesure qu'il remettait les éléments en place, Dante finissait à son tour par comprendre. C'était bien la douleur et pas les protokyns qui l'avait tiré de son sommeil. Le déluge de feu qui avait balayé l'étage était cependant antérieur à son retour parmi le monde des vivants. Il s'était réanimé debout, devant ces deux créatures, pas face à elles mais à leurs côtés. Elles avaient essayé de le tuer par pur instinct, il se souvenait maintenant, il les avait vu blessé avant qu'elles ne se régénèrent. Une lumière aveuglante avait balayé ses premiers instants de retour à la réalité. C'était elle qui avait ravagé l'étage de l'infirmerie. A cet instant, il avait juré avoir rêvé mais désormais les propos des deux hellions donnaient un tout autre sens à ce qu'il pensait avoir halluciné. Les protokyns étaient sans doute apparus violemment et sans crier gare car un pouvoir incontrôlé, ou incontrôlable, avait poussé leurs hôtes à basculer dans la folie. Lui-même avait sombré, il en était convaincu.

Cette lumière blanche immaculée l'avait-elle ramené à sa forme humaine ? Ou avait-elle tenté de le tuer pour miraculeusement le faire retrouver ses sens normaux ? Il ne pouvait le dire. Mais à un tel stade, il n'y avait plus qu'une conclusion. Allen et Road commencèrent à s'approcher, ils continuaient à le dévisager, attendant fébrilement ses prochains mots pour agir. Qu'allait-il advenir de lui ? Étaient-ils vraiment des télépathes ou n'était-ce qu'une portion de leurs immenses capacités ? Diable... quel genre de manipulations allait donc faire débuter sa compréhension des enjeux soulevés par ses pairs ? Lui. Son réveil. Les monstres. Allen. Meta. Tous ces éléments n'avaient qu'un point de chute. Celui-ci lui apparut si clairement que Dante le dit à mi-voix.

- Amélia... Et soudain, enhardi par cette simple déclaration, Allen bondit vers lui, le visage glacé par le poids du devoir.