L'heure était venue. Suivants les instructions de Jaëger les vingts rescapés de Shion se rendirent, parfois malgré eux, dans l'aile ouest. Passant par l'amphithéâtre, ils furent conduits dans une première salle exiguë où, massés comme du bétail, il leur fut demandé de se dévêtir pour subir une décontamination complète afin d'éviter tout risque lors des interventions. Amélia et les autres s'exécutèrent, la pudeur était devenue quelque chose d'optionnel compte-tenu de leur situation. Nus, on les aspergea d'un étrange gaz brumé froid mais pas insupportable.
La baie vitrée flou devant eux s'ouvrit alors pour les laisser pénétrer dans une pièce toute en salle longueur plus proche d'un tunnel aménagé que d'un vestiaire. Immédiatement, ils trouvèrent des bancs où les attendait de quoi se vêtir très sommairement : sous-vêtements et serviettes à enrouler autour de leur taille. D'apparence, la pièce semblait froide et la température ne devait pas y excéder les 17° mais aucun ne s'en plaignit. On était trop occupé à s'encourager ou à s'abandonner à quelques rêveries.
Assise aux côtés de Dante, Amélia attendait patiemment la suite des événements. Les premiers noms furent énoncés et les concernés, un par un, se rendirent au fond de ce couloir infernal où un sas les attendait avant leur ultime descente aux enfers. Ici, on entendait rien. Pas un cri, pas un hurlement. Il n'y avait que le silence et le froid. Amélia put remarquer les quelques spasmes affectant de temps à autre les jambes de son ami. Elle ne put s'empêcher de faire une petite remarque, tentant d'apparaître décontractée, ce qu'elle n'était pas.
- Je n'ai pas souvent eu l'occasion de te voir stressé. C'est étonnant. Dit-elle avec un très léger sourire, il la regarda en tortillant ses doigts. Son visage, d'ordinaire si enjoué, était marqué par une profonde mélancolie.
- Je repensais à avant. A Shion, à l'université, à ma famille et à ceux que je ne reverrai pas. Je me disais juste... qu'au final, j'aimais cette vie.
Sa voix était semblable à celle d'un condamné à mort résigné à l'idée d'être exécuté, Amélia en fut pétrifiée. Au fond, aimait-elle la vie ? Sa vie ? C'était davantage son instinct primitif que les regrets de sa vie passée qui lui faisait craindre la mort sur la table d'opération. N'était-ce pas un pêcher ? Elle ne savait plus vraiment quoi en penser. Cette réflexion remettait, encore une fois, ses convictions en doute. Ce n'était plus le lieu pour débattre intérieurement d'une telle réalité. Si elle avait su, aurait-elle tout de même choisi de s'engager dans l'armée ? Elle l'ignorait.
Le bal des appelés se poursuivait. Le prénom "Seth" retentit et il se présenta devant le SAS sans regarder en arrière. Il n'y eut ni adieu, ni au-revoir. Pas un mot d'encouragement pour ses camarades, pas une phrase pour son vieux camarade Dante. La tête haute, il disparut derrière les cloisons de métal. Aucun son ne filtrait. Amélia eut un frisson. Ce SAS avait finalement des airs de monstre, il ressemblait à la gueule béante d'une abomination attendant avec impatience d'engloutir un nouveau malheureux.
Chaque hellion aujourd'hui en vie avait vécu ce qu'ils vivaient. Qu'avait bien pu ressentir Ren ? Et Allen ? Avaient-ils été pétrifié de terreur ou avaient-ils fait front ? Amélia s'interrogeait. Qu'était-il avant ? Ce jeune homme aux longs cheveux rouges qui l'avait sauvé n'était pas celui qui avait pénétré le SAS, le discours de Kain l'en avait convaincu. Son existence même fut modifiée à cet instant. Soudain, le nom "Dante" résonna et celui-ci prit son courage à deux mains. S'il semblait terrifié de prime abord, une étrange fierté semblait auréoler autour de lui.
Mains dans le dos, il pénétra dans le SAS. Il ne resta bientôt plus qu'Amélia et Sélène. L'attente était certainement pire que la métamorphose elle-même. Elle attendaient seules, dans le doute et la peur, se rongeant les ongles. La jeune blonde tentait de garder son calme, de contrôler sa respiration, de ne pas paniquer. Le stresse ne la mènerait nul part et l'éloignerait même de la survie. De son côté, Sélène ne lui adressa pas un mot. Dos contre le mur, la tête basse, elle donnait l'impression d'être déconnectée. S'était-elle préparée à l'avance ? Lorsque Jaëger l'appela, elle se contenta de se rendre tout près du SAS. Amélia ne put s'empêcher de tourner la tête pour lui parler.
- Reste en vie, s'il te plaît. Donne tout ce que tu as. Je veux que l'on se retrouve de l'autre côté. Lança-t-elle à la volée sans vraiment réfléchir.
- J'ai eu l'occasion de te le dire lors de nos derniers échanges, j'ai un objectif précis. Je ne me permets pas de mourir avant de l'avoir atteint. Tu devrais plutôt t'inquiéter pour toi plutôt que pour les autres. Au fond... la plupart sont certainement déjà mort. Tu es la dernière. C'est à toi que je souhaite de rester en vie. Répondit l'autre en se retournant à peine. Elle fit face à son destin et entra.
Les portes se fermèrent et ce fut tout. Elle était désormais seule dans le froid à attendre l'inéluctable. Les mots de Sélène avaient sonné justes, pour la plupart des vingts initiés, le pire était déjà passé. Soit ils dormaient à jamais en profitant d'un repos bien mérité ou soit ils se remettaient des suites de l'injection du Venom. Dans un cas comme dans l'autre, elle se mit à les envier. Il n'y avait rien de pire que cette attente qui s'éternisait. Combien de temps était-elle restée là ? Rien ne lui permettait de le dire mais ça lui parut bien plus long que pour les autres.
"Amélia" ouït-elle alors. Elle se leva, mécaniquement et se plaça devant le SAS. Il n'y avait plus personne à saluer. La gueule s'ouvrit, elle y pénétra pour se retrouver dans un espace extrêmement restreint semblable à celui d'un tube d'ascenseur. La porte se referma, une fine lueur bleue émana du plafond et Amélia constata qu'un nouveau gaz remplissait ce qui s'apparentait à un sarcophage.
- Votre rythme cardiaque est en hausse. Il n'y a rien à craindre. Simple désinfection et conditionnement. Annonça Jaëger sur son fameux ton monocorde.
Ceci fait, le mur devant elle se fendit en deux et elle put ressortir du SAS pour découvrir le Laboratoire, c'est un tableau d'horreur qui se peint alors devant ses yeux. Quatre murs de métal menaçants entouraient cet endroit où un froid malsain créait une sorte de couche brumeuse au sol. L'endroit était vaste. Au loin, cinq tables d'opérations où s'afféraient des scientifiques aidés de monstrueuses machines articulées semblables à des araignées fixés au plafond. Des hurlements et des plaintes. On suppliait, on pleurait, on s'abandonnait.
Au fond à droite, elle entendit un bip abominable résonner quelques instants. Sur l'une des tables, on recouvrait d'un drap le cadavre de l'un des vingts cobaye, c'était fini. De l'autre côté, elle sembla apercevoir Sélène en train de convulser. La jeune femme pouvait très clairement voir des tubes remplis d'un liquide noir s'enfoncer dans sa peau et dans ses plaies ouvertes à desseins. Du Venom suintait de tous ses pores : yeux, bouche, nez, oreilles et même sa peau. L'un des appendices lui passait par la gorge ce qui empêchait tout cri.
Cette vision de terreur cristallisa la jeune femme et l'empêcha de faire un pas de plus. Devant elle, un siège d'opération vide placé à droite de la jeune fille coulissa sur le sol grâce à un rail et vint se placer devant elle. A sa suite, deux hommes en blouses blanches et au visage masqué. A cet instant précis, elle hésita à prendre la fuite mais une main vint se poser sur son épaule et la voix du professeur Kain retentit à son oreille.
- Vous voici enfin, mademoiselle Denver. Prenez place, je vous en prie. Au plus tôt nous pourrons commencer et au plus tôt vous pourrez vous reposer avec la satisfaction de ne plus jamais revivre cette pénible journée. Dit-il finement, la poussant doucement vers la table.
Acculée. Obligée. Amélia laissa tomber sa serviette, se tourna et s'allongea sur le dos sur cette plaque gelée. Le rail se mit en marche et elle se sentit glisser jusqu'à l'emplacement de l'opération.
Les larmes commencèrent à monter...
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Hellions : partie 1
Science FictionUn monde parfait. Un quotidien idyllique. Une jeune fille insouciante. Une tragédie. A une époque où la technologie frôle le fantastique et où les normes segmentent la société selon un équilibrage presque parfait, certains se plairaient à dire que l...