Chapitre 5 - #4

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Seth acheva rapidement sa discussion avec son nouveau mentor et prit congé, désireux de ne pas vivre aux crochets de celui-ci plus longtemps. Il déambula dans les couloirs quelques temps afin d'appréhender plus facilement ses sensations nouvelles. Son corps n'était décidément plus le même, ses sens étaient poussés à leurs paroxysmes si bien que la moindre odeur, le moindre bruit ou la moindre vibration lui était perceptible. De façon surprenante, seul son environnement immédiat lui apparaissait clairement et donnait lieu à un signal nerveux. L'espace plus lointain ne semblait pas couvert par ses capacités. Bien rapidement, il s'arrêta sur l'idée que ce flux d'informations nouveau était si intense que son cerveau devrait apprendre à le gérer à courte distance avant de l'étendre.

Il trouva le chemin de sa chambre et y entra en verrouillant la porte derrière lui. A la lueur d'un simple néon mural, il redécouvrit cet endroit qu'il avait pourtant déjà bien fréquenté. Tout lui paraissait si petit, si étroit, si confiné. Était-ce ses nouvelles capacités qui lui donnaient cette désagréable sensation de cellule ? Il rêvait de courir plus vite qu'il n'avait jamais couru et de s'essayer à réaliser des bonds prodigieux. Le soleil lui manquait, les bruits de la civilisation et la routine du quotidien également. Un flash lui traversa l'esprit : famille, amis, jeux, liberté, Shion. Il resta droit et tenta de contenir ses pulsions de son mieux. Chaque nouvelle salve de souvenirs était une épreuve. Seth se sentait plus fort et se maudissait, d'autant plus, de n'avoir rien pu faire à l'époque. C'était compréhensible et son irritation dû aux mutations de ses chairs exacerbait ses émotions.

Soudainement, il sentit une vibration inattendue et pivota pour se rendre compte que l'hologramme orangé de Jaëger venait d'apparaître. Le jeune homme fut étonné de voir la forme désincarnée le saluer, ce n'est pas tant ce fantôme qui le tourmentait mais bien le fait d'avoir pu ressentir la courbure de l'air qui avait donné lieu à sa conception.

- Votre compréhension de vos nouvelles capacités est impressionnante, Seth. Félicitations. Lança l'IA, mimant un sourire.

- Que veux-tu, Jaëger ? J'ai besoin de repos. Ronchonna l'autre en s'asseyant sur une chaise.

- Je crois comprendre, dans la limite de ma compréhension étant donné que le fait d'être seul n'est pas une chose qui me dérange, passons. Vous devez bien comprendre, Seth, que votre survie implique de nouveaux accès privilégiés.

- Des accès privilégiés ?

- Tout à fait. Votre statut de Hellions vous a ouvert l'accès à de nouvelles bases de données du Centre notamment en ce qui concerne des projets tenus secrets par l'Armée. Il y a, dans nos archives, des heures de lectures classés "secret impérial" que vous pouvez consulter. L'aile Ouest est désormais ouverte à votre bon vouloir.

- A quoi bon ? Je veux juste voir la lumière du jour. Depuis Shion, j'ai vécu enfermé et je n'ai vu l'extérieur que pour m'y faire massacrer par des skryns... Le jeune homme laissa échapper un soupire dépité, il en aurait pleuré s'il c'était autorisé à le faire.

- Vous restez un être vivant après tout.

- Une IA ne comprend pas, bien sûr. Peut-être que tu fais bien de m'avertir de tout ceci mais en ce moment, je n'ai pas envie de penser à ce genre de choses.

- Correct, je ne peux pas comprendre. Ceci dit, je peux vous informer qu'il existe une solution pour aller dehors si vous le souhaitez.

- Répète-ça ? Le jeune homme se redressa, une lueur d'espoir pointant sur son visage.

- Il existe une corniche spécialement aménagée à cet effet, je peux vous aider à vous y rendre si vous le désirez.

- Bien sûr que je le souhaite. Mais pourquoi ne nous a-t-on rien dit avant ?

- Le confinement fait parti de l'entraînement et il ne nous était pas possible de vous lâcher dans la "nature" sans pouvoir vous contrôler.

- Nous contrôler ? Seth souffla du nez, l'air fier. Parce que tu crois peut-être qu'il sera plus facile de me contrôler maintenant que je peux casser des murs à la seule force de mes poings ?

- Je mettrai cette réflexion sur le coup de l'impulsivité liée à votre transformation. Le Professeur Kain s'est assuré que nous pourrions intervenir dans le cas où des Hellions deviendraient incontrôlables, se retourneraient contre l'Humanité ou tenteraient de s'évader. 

Le jeune homme resta interdit et tenta de replonger brièvement dans les souvenirs qu'il avait de son opération sans parvenir à trouver quoi que ce soit de probant. Avait-il été la "victime" de la pose d'une puce de contrôle ou d'un dispositif semblable durant son sommeil ? Jaëger avait abattu cette réalité tel un couperet et il prenait - maintenant - conscience des limitations qui s'imposaient à lui. Être un hellion n'a jamais signifié être libre et ils le savaient, tous, avant de s'engager. Il releva le bras et regarda la paume de sa main où se battaient en duel de multiples cicatrices.

- Plus de pouvoirs et plus de chaînes. Je n'aurai pas dû me montrer si optimiste. Cracha-t-il au visage de son interlocuteur holographique qui resta de marbre comme à son habitude.

- Vous pouvez le voir comme ça mais si je peux vous rassurer à ma façon, sachez que nous n'avons jamais eu à recourir à notre système de contrôle et de confinement en quasiment vingt ans. Preuve en est que notre façon de fonctionner s'approche davantage d'une définition optimiste que pessimiste de la "captivité". Jaëger marqua un silence et, voyant qu'on ne lui répondait pas, reprit sur son timbre monocorde. Voulez-vous voir l'extérieur ?

Seth répondit par l'affirmative et fut bientôt en route, guidé par l'hologramme, vers l'extérieur. Ensemble, ils prirent un ascenseur situé non loin de l'entrée de l'aile Sud du Centre. Jaëger indiqua au panneau de commandes de se rendre au "Sommet" tel était le nom de cet endroit. Le jeune homme fut averti de sa plus complète autorisation à s'y rendre lorsqu'il le souhaitait. L'ascension du sarcophage de métal parut durer une éternité et Seth eut toutes les peines du monde à ne pas devenir sourd tant le vacarme assourdissant de l'air vibrant et des rames de métal en action lui étaient insupportables. Il sentit l'air artificiel se raréfier pour laisser placer à de l'oxygène pur.

Les poumons du hellion se gorgèrent de cette vitalité surprenante et il commença à trépigner d'impatience. La qualité des matières qu'il était en train de respirer dépassait de loin même celles qu'il avait connu à Shion. Par quel miracle ? Il sentit la température ambiante s'abaisser et lorsque les portes du tube s'ouvrir, une vague de froid balaya l'intérieur de la cabine. Ses yeux furent aveuglés quelques secondes mais il se força à avancer. Le flash blanc se dissipa et ce qu'il contempla alors dépassa ses rêves les plus fous. Il se trouvait sur une corniche de métal placé à flanc de montagne, celle-ci prenait l'apparence d'un grand plateau gris métallique émergeant depuis les roches pour s'élancer dans le vide ; on aurait très largement pu y faire atterrir deux aéronefs côte à côte.

Cette plateforme "Sommet" n'était bien évidemment pas le sommet de quoi que ce soit, levant les yeux au ciel, Seth put s'apercevoir que la montagne dans laquelle était bâti le Centre culminait plus haut que ça. Presque zombifié par ce qu'il voyait, entendait et sentait, le jeune homme approcha du bord du précipice dont les extrémités étaient pourvues d'une fine pellicule translucide à peine visible. Un mur à graviton comme il en existait beaucoup sur Horizon lui-même, ceux-ci se solidifiait au besoin pour empêcher toute matière de passer et en dehors de ces phases d'activation ils étaient parfaitement invisibles. Le jeune homme jeta son regard émerveillé loin devant lui.

Il eut le souffle coupé car s'étendait devant lui un paysage quasi-mystique que seuls les écrans des bibliothèques de Shion possédaient. Au loin ne se dressait que des sommets montagneux enneigés défiant par leur taille et leur gigantisme le ciel bleu où perlait un soleil persistant. Cette vision le pétrifia dans une expression de stupeur et d'émerveillement. Loin des cités et des souterrains, c'était donc ça, "dehors" ?

Sans s'en rendre compte, il fondit alors en larmes.



Hellions : partie 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant