Chapitre 56

1.2K 71 14
                                    

15 Décembre 2018

« Et si nos corps périssent, il nous reste que l'amour, sinon quoi ? Sinon quoi ? Hein ? »

*

Jad

- Il vous manque ?

- Oui, beaucoup.

Un long silence s'installa dans le cabinet du docteur Grivot. Comme depuis le début de la journée, Jad avait les yeux rivés sur son téléphone qu'elle faisait glisser entre ses doigts.

- Je ne comprends pas, elle continua en levant les yeux vers le plafond. S'il me manque autant, pourquoi je n'arrive toujours pas à le regarder ?

- C'est courant lors de traumatisme de ne plus vouloir voir les choses reliés à cet évènement.

- En fait je...

Elle s'arrêta de parler pour se mordre la lèvre inférieure et souffla du nez en posant son regard sur Louise, sa psy.

- J'ai envie d'aller le voir. J'ai envie d'essayer mais j'ai peur.

- Vous avez peur de ne jamais plus pouvoir le regarder ?

- Oui. J'aimerais vraiment comprendre.

- Parfois il n'y a rien à comprendre, il suffit d'un déclic.

- Je crois que je l'ai ce déclic au fond de moi. Mais il a du mal à sortir.

- C'est en rapport avec Jian ?

Jad baissa les yeux vers ses doigts qui jouaient encore avec son téléphone. Le souci c'était que depuis l'accident, elle repensait souvent à Jian, inconsciemment elle avait lié les deux évènements. Elle avait eu beau le voir mourir, elle n'avait finalement pas l'impression d'avoir accepté sa mort. Elle ne savait pas trop comment l'expliquer mais le fait d'être dans un autre pays rendait sa mort moins réelle, moins douloureuse. Pourtant, appart à l'enterrement elle n'était pas allé le revoir, même après avoir fait sa retraite au dojo de son professeur de Karaté. Elle était juste partie, comme s'il était toujours là et que leur histoire s'arrêtait maintenant parce qu'elle devait rentrer en France. Elle savait au fond que ce n'était pas la réalité, mais si elle pensait comme ça, ce serait plus facile. Elle savait déjà tellement la douleur que la mort procurait. Elle ne s'en était pas vraiment rendu compte avant l'accident et les séances de psy.

- Je ne lui ai pas vraiment dit adieu, elle soupira en levant les yeux au ciel pour faire sécher ses larmes. J'ai pas pu. J'ai préféré m'isoler pour ne plus penser à ça. Si je me concentrais sur autre chose, les images n'auraient pas à défiler sous mes yeux, elles n'auraient pas à me rappeler que Jian était mort.

- Et après vous êtes partie.

- Oui, je suis partie et c'était comme si je le quittais parce que c'était moi qui partais. Et pas parce qu'il était mort.

- Mais il est mort.

- Je sais, elle sanglota, je m'en veux maintenant depuis que je l'ai compris.

- Vous avez pourtant fait la même chose avec Ken. S'il ne fait plus partie de votre vie, vous n'avez pas à lui dire adieu.

C'était douloureux et libérateur à la fois d'entendre toutes ces vérités. Elle allait déjà un peu mieux depuis qu'elle voyait Louise mais ce n'était pas encore ça. Elle n'avait toujours pas réussi à faire le premier pas avec Ken et au plus elle avançait dans sa thérapie, au moins elle trouvait de raison de le fuir à ce point. Surtout quand ses blessures profondes venaient d'être dites à voix haute. Mais toujours la même appréhension venait se réfugier dans le creux de son ventre lorsqu'elle osait trop y penser. Parfois elle avait envie de passer au-dessus mais la plupart du temps elle avait bien trop peur. Malgré ça, aujourd'hui, c'était différent. Déjà, depuis deux séances, elles avaient réussi à évoquer la mort de Jian, alors ça pesait moins lourd sur son cœur. Et puis Ken lui avait envoyé un message ce matin, tout simple. Elle l'avait lu et relu plusieurs fois sans répondre. Elle avait préféré attendre de voir Louise pour en discuter avec elle mais son cœur avait cogné fort contre sa cage thoracique et ses lèvres s'étaient étirés toutes seules.

On Est Amoureux Qu'une Fois Où les histoires vivent. Découvrez maintenant