47.1

92 24 4
                                    

Munich, 14 août 1943.

Nott se tenait là, à quelques mètres de là et à l'abri des regards indiscrets. Draco dut se faire violence pour ne pas se jeter à sa gorge et lui régler son compte ici, à quelques mètres des festivités. Il porta sa cigarette à ses lèvres dans un mouvement dicté par l'habitude. L'habitude et un besoin impérieux d'écraser son poing sur le faciès souriant de son maître-chanteur.

— T'en as une à me donner ?

Draco peina à comprendre à quoi il faisait allusion. La boîte où il rangeait ses cigarettes toujours en main, Nott la désigna d'un mouvement nonchalant du menton. Le blond se retint de ne pas refuser immédiatement, avec une âpreté cinglante et une répartie tout aussi mordante. De mauvaise foi, il tendit à son interlocuteur ce qu'il lui demandait, la mâchoire serrée au point où la tension le faisait souffrir. Sans se presser, Nott exhala une bouffée, tournant à peine le visage pour ne pas recracher sa fumée sur le visage crispé de son interlocuteur.

— Tu n'as pas l'air très content de me voir. J'ai raconté à tout le monde que je te devais ces places, il faut jouer le jeu et s'afficher ensemble, comme de bons amis !

— Tu me dois cette place ici, Nott, rétablit Draco, son regard ombrageux épinglé à celui de l'autre.

— C'est vrai ! Mais tous ces gens s'attendent à ce qu'on affiche une complicité exemplaire. Je ne t'apprends rien si je te dis que les apparences sont maîtresses de tout, ici.

— Ne compte pas sur moi pour ce petit jeu tordu. Tu peux roucouler autant que tu veux, profiter de ton instant de gloire à ta guise, mais n'attends rien de moi.

— Oh...

Nott afficha une mine déçue, boudeuse. Une caricature de l'ami attristé qui ne tarda pas à voler en éclats. Le jeu de comédien de l'homme se brisa et un sourire de requin s'afficha sur ses lèvres. Draco le maudit alors qu'il portait la tige à ses lèvres pour en savourer la promesse interdite d'une mort lente. Cet homme était fou, murmura une voix, à l'oreille de Draco, fou à lier.

— Tu oublies que je peux tout attendre de toi. Je peux te demander ce qu'il me plaît et tu n'as qu'à t'exécuter. Tu sais quoi ? J'ai envie, mais une envie folle, d'aller hurler à cette bande d'aristocrates mal débouchées que je t'ai sous ma botte. Le grand Draco Malfoy à mes pieds !

— La ferme, Nott.

L'intéressé ricanait.

— Tu as peur qu'on m'entende ? Que dirait ton père si je le lui disais ?

— Tu ne le feras pas, martela Draco, immobile, à mi-chemin entre l'attitude du prédateur et de la proie.

Car Nott n'était plus le seul à jouer un jeu. L'aristocrate allemand gagnait du temps, il divertissait cet odieux personnage aussi longtemps qu'il le fallait. Il se retint de vérifier la montre à son poignet. Ce geste pourrait bien le trahir et il se devait de ne pas risquer de porter préjudice à l'ensemble de leur mission nocturne. La présence de Nott avait pour effet d'endiguer le stress, ou du moins le remplacer par cette haine viscérale que l'homme lui inspirait.

— Et pourquoi ?

— Parce que ça mettrait fin à ton chantage.

— Je préfère le mot « accord ».

— Cela signifierait que tu avais mon accord, grinça Draco.

Nott haussa les épaules sans se départir de son rictus.

— Tu n'as pas tort. Je n'ai pas prévu de mettre un terme à notre accord avant un moment. Je sais que tu as mieux à m'offrir qu'un bal annuel.

— Que le bal et la majeure partie de ma rente mensuelle ? Je ne vois pas ce que tu exiges de plus.

— Une place dans ce monde ? Une place de choix, même. Ton père est proche d'Hitler, qui ne convoiterait pas sa place ?

— Personne ne la convoite. Mon père a son lot d'ennemis et ils restent bien sagement terrés dans leur trou. S'ils se montrent trop hargneux, mon père saura les faire taire, définitivement s'il le faut. L'honneur et le rang d'un nom valent plus chers que ta pitoyable vie, ne crois pas que mon père ne s'est jamais sali les mains pour le défendre.

Draco cracha toutes ses paroles, de sa voix traînante, mais vibrante de colère. Il avait toujours vécu avec le fardeau d'être né Malfoy. Il avait vécu avec les attentes intarissables de Lucius et avec le devoir dû à son nom. Cet homme pensait pouvoir écoper des privilèges qui lui étaient réservés sans avoir à subi les difficultés ? C'était impensable et une telle audace méritait d'être punie.

— Dommage que tu ne puisses pas demander à ton cher père de te venir en aide.

— Mon père n'a jamais supporté que je lui sois dépendant. Il aurait refusé, à moins que son honneur ou celui des Malfoy ne soit en jeu, récita Draco, de cette voix détachée qu'il tint en horreur.

— Et tu ne crois pas que l'honneur des Malfoy serait terni si on apprenait tes... penchants ?

La gorge de Draco se noua sans qu'il ne sache si la fureur en était la cause, ou bien s'il s'agissait plutôt de l'entendre dire. Il vivait son inversion comme un penchant naturel depuis son retour à Strasbourg et s'en étonnait lui-même. Il avait pris le parti de considérer son amour comme un fait qui lui appartenait, une simple addition de sa personne qui ne le rendait pas plus différent d'un autre. Il ne réalisait pas alors à quel point sa mentalité avait changé depuis sa première visite à Strasbourg. Bon nombre de préjugés avaient disparu et Harry n'y était pas étranger.

— Tu n'as rien à gagner à le lui dire. Il pourrait te faire tuer pour le chantage que tu m'as fait subir.

— Imagine les conséquences s'il le savait... Imagine ce qu'il penserait de son brave fils, de son fier héritier. Son fier héritier qui préfère fourrer des hommes plutôt que de sa femme !

— Tais-toi !

Draco était blême de fureur. Rares étaient les hommes à lui avoir fait pareil affront et cet énergumène les additionnés sans risquer d'en subir les conséquences. Une injustice ne nous était jamais plus infâme que lorsque nous nous en voyons personnellement concernés. Ce soir, dans cette nuit festive, Draco en faisait les frais. Sa peau pâle avait perdu toute couleur et les ombres nocturnes y faisaient vivre des ombres. Des ombres auxquelles il n'hésiterait plus à succomber. Il conservait, malgré tout, assez de conscience pour ne pas sauter à la gorge de Nott pour qu'aucune autre injure ne s'en échappe. Il frémissait dans la nuit fraîche de ce mois d'août et son interlocuteur semblait se moquer de son courroux.

— Eh bien, si j'avais su que ce garçon... ce... quel est son nom, déjà ?

— Potter, maugréa Draco, certain que cette perte de mémoire était aussi feinte que son sourire.

— Ah, oui. Potter... Une jolie gueule, ton Potter... Un joli cul, aussi.

C'en fut trop. Draco sentit nettement quelque chose se relâcher en lui, exploser, se répandre. Un élastique qui se rompt après avoir subi une trop forte pression. Draco se jeta à la gorge de l'individu et, avant même que Nott n'eut le temps d'avoir un mouvement de recul, les longs doigts de son agresseur s'enroulèrent autour de son cou. Emporté par son élan, l'aristocrate sentit le corps de son maître-chanteur basculer sous le sien et ils roulèrent au sol. L'impact fut rude, surtout pour Nott dont le crâne heurta violemment les dalles régulières. Il exhala tout l'air de ses poumons, sonné. Avant qu'il n'ait le temps de reprendre ses esprits, Draco entreprit de détruire son arrogance. Pièce par pièce. Il s'occupa d'abord de ce sourire arrogant d'un seul coup de poing. Il se battait rarement, mais la rage suffisait à le rendre d'une redoutable efficacité. Une de ses mains épinglait son adversaire au sol tandis que la seconde se levait à nouveau, prête à tout voler dans le visage haï de l'homme.

— Draco ! 

Cueillir les étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant