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Munich, 15 août 1943.

Le jour commençait à peine à se lever. Le corps alangui d'Harry se tordit sous les draps tièdes et le bras de Draco se referma autour de sa taille pour l'empêcher de le fuir. Un réflexe inconscient, dicté par les limbes du sommeil. Les yeux de l'Allemand étaient encore clos, mais il quittait lentement les bras de Morphée. Il ne croyait pas avoir aussi bien dormi depuis une petite éternité. L'homme goûta encore quelques instants à cette quiétude, à ce bonheur éphémère, avant d'ouvrir les paupières. La lumière de l'aube était encore pâle, presque timorée, et la chaleur des rayons dessinaient des rayons sur sa peau diaphane. L'homme laissa le sommeil lui échapper et son regard courut sur le visage qui lui faisait face. Le visage paisible de son amant.

Draco se risqua à sourire. Ses yeux gris se coulèrent sur les traits détendus d'Harry. L avait craint, à son réveil, de ne découvrir qu'une place froide à ses côtés. Une place froide et l'illusion avortée de leurs retrouvailles, l'un des mirages de son esprit épuisé. Le corps brûlant d'Harry ne s'était pas évanoui pendant la nuit et, malgré sa maigreur apparente, malgré les plaies visibles, invisibles, il demeurait à ses côtés.

Draco extirpa sa main des draps étouffants jusqu'à mener ses doigts à la frontière de ce visage endormi. Il s'en voulut de troubler le sommeil paisible d'Harry, sûrement l'un des premiers depuis un long moment, mais ne put contenir le geste que l'envie lui inspira. Le dos de ses doigts s'égarèrent à la surface de l'épiderme et retracèrent les contours de la joue. La clarté de l'aube donnait à voir tous les défauts, tous les minuscules détails que Draco n'avait pas su voir la veille. La peau était plus terne, les cheveux moins brillants, mais tout aussi indisciplinés malgré le coup de brosse nécessaire, les lèvres étaient gercés par la soif, les privations et le froid nocturne. Tout le corps du jeune juif avait souffert. Tout le corps, mais surtout tout ce qu'il renfermait.

Harry sourcilla et sa position se modifia assez pour que son front vienne se presser contre la poitrine de Draco. Ses traits disparurent et l'Allemand soupira, presque amusé. Il avait rêvé de cet instant et savourait le bonheur délectable que lui offrait le sort. Sa main se glissa à nouveau jusqu'à la taille du Français pour y trouva sa place. Il caressa ses flancs, les irrégularités qu'il ressentait n'étaient autres que les os saillants. Si Harry n'était pas encore réduit à l'état de squelette vivant, mais il en avait pris le chemin. Comme tous ces anonymes qui disparaîtraient ensemble, déshumanisés, dépouillés de toute identité, déjà morts.

Le temps s'égrena et les pensées de Draco perdirent de leur sens. Il songeait simultanément à leur présence en ces murs, interdite, proscrite, pécheresse, à la mort de son parrain, profondément injuste, au sauvetage d'Harry, véritable miracle auquel il était encore difficile de croire et la situation encore bancale dans laquelle ils se trouvaient. Draco assembla enfin quelques réflexions, une sorte de projet qui ne s'étendait pas plus loin qu'aux heures qui suivraient. Ils s'étaient engouffrés dans le Manoir Malfoy sans se fier des conséquences et il fallait désormais s'en extirper sans attirer l'attention. Il suffirait d'attendre la tombée de la nuit, de dissimuler Harry dans une pièce que personne n'irait visiter, l'une des nombreuses pièces qui ne servaient que de décoration, et de s'enfuir lorsque la vigilance permanente du patriarche serait au plus bas. Ainsi, il serait aisé de quitter cette souricière et abandonner derrière eux l'Allemagne, le vainqueur déjà vaincu.

À contrecœur, Draco se tira de l'étreinte de son amant et ses lèvres effleurèrent son front avant qu'il ne quitte les draps. Son corps nu s'étira hors de ce cocon de douceur. Il n'eut pas la force de se reprocher la tendresse qui le heurta, un sentiment que son père n'aurait pas manqué de réprimer, qu'il naisse au contact d'un homme ou d'une femme. Il n'eut pas la force non plus de se reprocher le geste qu'il avait eu la veille, celui de faire l'amour à Harry à l'endroit où il aurait dû honorer sa femme.

Cueillir les étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant