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Strasbourg, 23 juillet 1940.

Le soleil se levait à peine que déjà, Hermione s'activait dans la maisonnée endormie. Son père avait travaillé jusque tard dans la nuit et ne ferait pas son apparition avant un long moment. Harry, quant à lui, ne tarderait certainement à la rejoindre. Suite à sa dernière altercation, celui-ci respectait scrupuleusement le couvre-feu. C'était du moins ce qu'elle attendait de lui, qu'il fasse preuve de la plus grande prudence.

La jeune femme préparait le petit déjeuner. L'eau bouillait d'une part tandis que, de l'autre, les œufs frétillaient dans la casserole. D'une main de maître, l'Alsacienne s'attelait à la tâche. Cela l'empêchait de réfléchir, de s'apitoyer sur un sort qui semblait s'acharner, encore et encore alors qu'elle savait que le pire ne tarderait pas à s'imposer à eux. Son instinct le lui hurlait, matin et soir, au creux du sommeil et même lorsqu'elle tentait d'oublier la guerre. Le conflit qui avait éclaté et qui continuait de faire rage, où que ce soit.

Sa vision éclairée des événements lui permettait de prévoir l'indicible. Le début de la guerre, l'empreinte de terreur des nazis. Depuis le refus catégorique de son père de quitter l'Alsace pour les régions françaises du Sud-ouest en même temps que tous ces trains bondés de monde, elle avait maintes fois regretté ce choix. Au creux de son lit, la nuit, lorsqu'elle déposait un regard délavé de larmes sur le monde anéanti.

Alors qu'elle déposait deux assiettes fumantes sur la table, Harry pénétra dans la salle à manger. Le visage endormi et les cheveux dressés sur la tête, il lui articula une salutation incompréhensible d'une voix encore rauque de sommeil. Hermione répondit, plus intelligiblement :

—Bonjour Harry.

L'intéressé se laissa choir sur la chaise sans la moindre délicatesse. Il ne protesta pas lorsqu'on lui servit son café, ce qui interpella sa cadette. D'ordinaire, l'homme insistait pour ne pas qu'elle ne s'occupe pas de tout, pour l'aider à la moindre occasion sans qu'elle n'en demande rien. La fatigue cernait le visage d'Harry, ombrait son regard vif que le manque de sommeil éteignait. Suspicieuse, Hermione dévisagea longuement son vis-à-vis. Celui-ci, plongé dans la contemplation de son café, sursauta presque lorsque la voix de la jeune femme s'exclama :

—Ne me dis pas que tu étais encore dehors cette nuit !

—Qu'est-ce qui te fait penser ça, Hermione ? rétorqua le jeune juif, sans relever les yeux.

—Ne te moque pas de moi. Tu m'avais promis de ne pas recommencer. Tu n'as donc pas compris la leçon la première fois ? Ils ne seront pas aussi indulgents s'ils te remettent la main dessus !

Hermione éleva le ton, laissant sa colère l'emporter sur sa raison. Elle qui ne souhaitait que protéger son ami ne pouvait concevoir qu'il prenne de tels risques sans aucune précaution.

—Ça en vaut la peine, tu le sais aussi bien que moi. Les risques que je prends sont maigres comparés à ceux que Ron prend.

L'Alsacienne grimaça. Harry venait de toucher une corde sensible et il en avait parfaitement conscience. Le rouquin manquait affreusement à la jeune femme et elle n'ignorait pas les risques qu'il prenait à quelques centaines de kilomètres de là. Ses frères et lui s'étaient engagés dans la Résistance dès la première heure et enchaînaient les actes d'un héroïsme méconnu. Ils comptaient parmi ceux prêts à mourir dans l'anonymat et pour une cause bien trop immense pour être celle d'une seule vie. Les quelques lettres qui étaient parvenues jusqu'à Strasbourg ne mentaient pas et bouleversaient Hermione, semaine après semaine.

La Résistance, qui ne portait d'ailleurs pas encore ce nom, n'était que des bandes désorganisées d'étudiants qui refusaient l'abominable domination allemande. Ils œuvraient la nuit, sans que personne n'en sache rien. Pour l'heure, le Reich tentait d'étouffer les rumeurs, préférant garder intact la vitrine qu'était censé représenter l'Alsace. Une terre qui serait bientôt le parfait exemple de l'écrasante réussite nazie, le reflet de leur gloire.

Les nazis qui tâchaient d'organiser le retour de la majeure partie de la population alsacienne évacuée en septembre 1939 sur ordre du gouvernement français. Pendant des mois, Harry et Hermione avaient vécu dans une ville quasi désertique. Eux n'étaient restés que sur une autorisation spéciale délivrée sans raison apparente au père de la jeune Alsacienne. Une aubaine qu'ils regrettaient désormais amèrement.

—Je ne fais que... distribuer quelques journaux, dit l'autre, ponctuant la parole d'un geste désinvolte de la main.

—Des journaux clandestins que tu distribues après le couvre-feu, martela Hermione, fortement.

—C'est le moins que l'on puisse faire !

—Garder ta vie sauve est plus important que te lancer dans des actions irréfléchies. Luna et Xenophilius peuvent très bien se passer de ton aide !

Le ton était monté, inexorablement. Les deux jeunes gens se jaugeaient comme pour déterminer lequel abandonnerait le premier. Chacun solidement campé sur ses positions, le débat ne semblait pas destiné à prendre fin.

—Le Chicaneur a besoin de soutien, quelqu'en soit le prix.

L'Alsacienne serra la mâchoire, les yeux brillants d'une lueur farouche, mélange de savoir, de sagesse et de courage. Elle aussi souhaitait apporter sa pierre à l'édifice, à cette entreprise immense nécessitant des centaines de sacrifices. Harry secoua la tête de droite à gauche, incrédule :

—Je ne comprends pas, Hermione. Depuis que je suis arrivé ici, tu m'as toujours fait entendre qu'il ne fallait pas accepter ce qu'il se passe. Pourquoi ça serait différent cette fois-ci ?

—Parce que cette fois, c'est réel ! s'écria l'autre, d'une voix forte bien que moins assurée que jusqu'alors.

Harry savait que, quelque part, son amie approuvait entièrement ses actions. Seulement, elle parvenait à se montrer plus mesurée, plus sage. Le courage côtoyait l'intelligence dans un douloureux dilemme. Hermione raisonnait à toute allure, pesant le pour et le contre avec une redoutable efficacité. Elle se laissa tomber sur sa chaise qui émit un grincement sourd et désagréable. Elle passa une main fébrile et tremblante dans sa masse capillaire qui se constituait de boucles brunes désordonnées. Doucement, elle s'adressa à nouveau à son vis-à-vis :

—Promets-moi juste d'être prudent.

—Je te le promets. Il n'arrivera rien, arrête de t'inquiéter.

L'Alsacienne aurait souhaité obéir aveuglement au conseil de son aîné, mais le simple fait d'être en contact avec les soldats allemands suffisait à raviver ses peurs. Elle en perdait le sommeil, assistant impuissamment à la réalisation de ses pires hypothèses. Viendrait un jour où elle prendrait le dessus, où elle se soulèverait dans un accès de bravoure. De tout cela, Harry était parfaitement certain.

—Tu vas continuer, n'est-ce pas ? renchérit Hermione, sa tasse fumante entre ses doigts fins.

—Oui.

—Évidemment, pourquoi je pose encore la question ? commenta-t-elle encore, son visage se fendant d'un pauvre sourire.

Une nouvelle fois, dans l'atmosphère matinale, les deux amis s'offrirent une longue œillade, mélange inopiné de craintes et de détermination sans faille. Ils souriaient, bien trop conscients des temps difficiles qui les attendaient et du danger qui rôdait dehors. 

Un tout petit chapitre que je publie avec un jour d'avance (si l'on fait impasse sur la semaine d'inactivité) !

Je suis désolée, ce n'est pas très consistant mais je n'avais pas d'autres choix que de placer la coupure ici. La seconde partie du chapitre sera plus conséquente bien que celle-ci révèle la raison des sorties nocturnes de Harry. 

Passez une agréable semaine et merci à vous de suivre cette fanfiction ~

Cueillir les étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant