Belfort, 25 mars 1944.
— Harry !
La voix de Narcissa l'interpelait au détour d'un couloir et l'intéressé fut tenté d'ignorer cet appel, de simplement poursuivre sa route. Personne ne le lui reprocherait et, à vrai dire, il n'était pas certain des intentions de cette femme. Pourquoi avoir amené Draco ici ? Pourquoi avoir couru ce risque alors qu'elle-même n'aurait jamais dû se trouver à Belfort ? Pourquoi ramener Draco avec elle et ce, visiblement contre son gré ?
Se retourner demanda à Harry un effort considérable et le regard qu'il portait à travers ses lunettes rondes ne manquait pas de mordant. Il était blessé. Blessé et en colère, à tel point qu'il ne savait même plus vers qui porter cette rage qui menaçait de sourdre.
— Qu'est-ce que vous me voulez ?
Narcissa, entraînée par son élan, s'arrête toutefois net à quelques pas de son interlocuteur. Son visage se voyait hanté par des résidus d'émotions qui n'auraient jamais dû être et elle paraissait étonnamment humaine sous cet angle. Le temps ne semblait avoir aucune incidence sur ses traits, mais les sentiments ne la rendaient que plus saisissable, que plus belle. Elle ressemblait à Draco, à tel point que c'en était même douloureux.
— J'aimerais te parler, Harry. Nous n'en avons jamais eu la chance et puisque l'occasion se présente aujourd'hui, je m'en voudrais de la laisser m'échapper.
Harry eut un temps d'hésitation et pas un de plus. Ils se trouvaient au détour d'un couloir, tous deux échappés au bureau de Dumbledore après le départ précipité de Draco.
— Nous n'avons rien à nous dire.
Il s'apprêtait à tourner les talons et à rejoindre la chambre qu'il occupait au sein de l'école, mais la voix de Narcissa, étrangement autoritaire, surgit :
— Au contraire ! J'ai toujours souhaité te connaître. Tu as changé mon fils et pour cela, tu auras à jamais toute ma reconnaissance et tout mon respect !
— Je ne suis pas sûr que vous me diriez la même chose si vous saviez qui je suis.
— Je me moque de qui tu peux être, Harry, tu as sauvé mon fils.
— Savez-vous que je suis juif ? Que je suis un inverti ? Que je m'acharne à faire tomber l'empire de votre mari et celui du Reich tout entier ? Que dites-vous de ça, madame Malfoy ?
Harry écumait presque, l'œil fou, son cœur s'emportait pour marteler violemment sa cage thoracique. Il avait hurlé ses mots, il s'était époumoné et là où il s'était attendu à un intense rejet de la part de Narcissa, il ne lui tira aucune réaction semblable. Elle eut comme un soupir las, infiniment las.
— Je le savais, Harry.
— Et vous voulez toujours me connaître ? Votre fils n'aimera jamais sa parfaite petite épouse comme il le devrait et j'en suis en partie responsable ! J'ai détruit votre vie et la sienne, vos parfaites petites vies !
— Laisse Pansy hors de cette affaire.
— Il est marié !
— Il l'était déjà à son retour à Strasbourg et cela n'a rien empêché que je sache.
Cette fois, Narcissa avait haussé le ton. Elle n'ignorait pas ce qu'il se passait sous son toit et c'était lui faire offense que de prétendre le contraire. Ses yeux gris étaient animés de la même tempête qu'Harry connaissait à Draco, mais depuis combien d'années cette tempête n'avait-elle pas fait rage ?
— Écoute-moi. Je suis une mère et je me moque que tu ne sois pas la femme que j'aurais aimé que tu sois. Tu n'es pas Pansy, tu n'es pas la fille parfaite à laquelle nous aurions pu marier Draco. Peut-être divorceront-ils d'ici à la fin de la guerre, cette décision leur appartient et je n'ai pas à m'immiscer dedans.
Elle retint son souffle. La guerre arrivait à son terme et ils étaient nombreux à le ressentir. Le Reich faiblissait depuis des mois, peut-être même des années si on excluait la propagande d'Hitler qui effaçait chaque humiliation, chaque revers. Les Japonais reculaient dans le Pacifique sous les offensives américaines. L'armée française approchait du Rhin et l'Allemagne ne comptait désormais que des défaites. Le Reich d'Hitler reculait, inexorablement et finirait par être anéanti. On décrivait le Führer comme tourmenté, malade, dépressif même et comme vieilli de dix ans. Il n'avait plus rien du dirigeant charismatique qui galvanisait les foules. Lui aussi sentait peut-être sa fin proche, imminente.
— Mais tu as sauvé Draco, j'en suis persuadé.
Harry se détourna sans toutefois initier le mouvement de s'en aller. Lui aussi avait aimé y croire et c'était bercé de cette illusion. L'expression de Draco quelques minutes auparavant avait balayé toutes ces certitudes déjà ébranlées par des mois de séparation.
— Ramenez votre fils à Munich, Madame Malfoy, il est évident qu'il n'a aucune envie de me voir.
Il tourna les talons, à peine conscient de se protéger lui et pas Draco. Un choix égoïste qu'il ne se connaissait pas et qu'il aurait probablement regretté toute sa vie.
— Attends !
Harry ralentit à peine comme si, au fond, il avait envie d'être retenu et que cette femme lui prouve ce que lui ne parvenait pas à s'assurer.
— Tu l'as sauvé une fois, Harry, mais il a besoin de toi aujourd'hui. Je ne peux rien faire et crois-moi, j'ai tout essayé. Sauve-le, sauve-le pour moi !
L'intéressé s'immobilisa. Il était profondément injuste et l'horreur qui peignait ses traits fut significative. Il venait de le comprendre. Lui aussi avait grand besoin d'être sauvé. Il dit, à peine plus haut qu'un murmure :
— Encore faudrait-il qu'il veuille être sauvé.
Puis, il se retourna pour affronter les yeux de Narcissa, deux orbes gris qui lui retournèrent l'estomac et qui le suppliaient en silence. Elle articula, dans un chuchotement tout aussi imperceptible :
— Il a besoin de toi. Je te laisse mon fils alors, je t'en prie, sauve-le.
La gorge d'Harry se noua. Il aurait aimé avoir une mère comme Narcissa, prête à supplier pour lui, prête à tout donner. Il avait longtemps pensé que cette femme devait être à l'image de son mari, tout aussi méprisante et bien-pensante jusqu'à l'écœurement, mais il découvrait une femme qui s'était oubliée à l'instant où elle était devenue mère. Surtout, elle acceptait sans broncher la relation qui liait Harry à son fils. C'était bien davantage que tout ce qu'ils auraient pu espérer et qu'elle s'en réjouisse ou non, elle n'émettait aucun jugement, elle ne se répugnait pas de savoir cet homme en compagnie de sa progéniture. Il avait sauvé Draco et qu'il soit homme ou femme, elle s'en moquait éperdument.
— Je vous promets d'essayer, Madame.
Narcissa s'approcha et ses mains recouvrirent celles d'Harry. Elle sourit, sans doute tristement, consciente qu'elle ne reverrait peut-être pas son fils avant de longs mois, peut-être même ne le reverrait-elle plus. Elle serra les doigts du jeune homme, lui embrassa le front et souffla :
— Merci.
C'est une toute petite partie que je vous propose avec un jour d'avance. Une conversation entre Harry et Narcissa, c'est pour le moins inespéré. Que pensez-vous de son personnage ?
Dans l'oeuvre originale, je l'apprécie beaucoup, je voulais qu'elle soit assez passive d'une part, mais qu'elle refuse d'abandonner son fils. Il me semblait logique qu'elle permette aux deux héros de se retrouver après avoir traversé l'enfer, l'un comme l'autre.
Je vous souhaite une agréable semaine et, après un rush particulièrement fatiguant, je vais prendre un peu de repos. Bises !
VOUS LISEZ
Cueillir les étoiles
FanfictionLe 1 septembre 1939, le second conflit mondial éclate. Deux idéologies s'opposent et s'affrontent avec pour unique objectif l'anéantissement ennemi. Quelques mois seulement après le début des combats, la France accuse une cuisante défaite. L'Alsace...