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Belfort, 25 mars 1944.

Narcissa traversait la petite cour qui bordait l'école sans se préoccuper des regards émerveillés des enfants qui s'écartaient sur son passage. Elle avait eu le bon goût d'arriver au beau milieu de la récréation et si elle n'en montrait rien, elle s'en trouvait aussi agacée qu'attendrie. Il y avait bien longtemps qu'elle n'avait plus protégé un enfant et elle ressentit un pincement au cœur. Ce jour lui offrait l'opportunité d'être une mère une dernière fois, une protectrice contre vents et marées.

Elle pénétra dans la bâtisse et Dumbledore l'attendait dans l'entrée. Elle n'avait jamais croisé sa route et ce vieillard à l'allure indéfinissable, mais figée dans le passé, la surprit. Severus lui avait dépeint un homme proche du génie qui combattait le mal depuis les premiers frémissements de cette guerre. Dumbledore ne lui laissa pas le loisir de s'épancher sur sa stupéfaction, il lui tendit une main étonnamment ferme et la salua avec chaleur :

— Madame Malfoy, je suis Albus Dumbledore, directeur de cet établissement. À en juger par ce que je vois, vous vous attendiez à quelqu'un d'autre.

— Bonjour, monsieur Dumbledore et excusez mon impolitesse, j'ai la fâcheuse manie de me faire une idée très précise de mon interlocuteur avant même de l'avoir rencontré.

— Et je suppose que je ne corresponds pas à l'idée que vous vous faisiez de moi, badina Dumbledore, sans se départir de son sourire énigmatique qui ourlait le coin de ses lèvres.

— Je vous imaginais plus jeune, tenir un tel établissement ne doit pas être de tout repos.

Narcissa parlait un français étonnamment fluide et, contrairement à ses dires, se montrait d'une politesse presque excessive. Nul ne devait savoir qu'elle s'adressait ainsi à digne représentant de la nation ennemie, une figure maîtresse de la Résistance, de surcroît. Pourtant, l'aristocrate allemande faisait fi de ce détail et se montrait d'une amabilité admirable. Elle avait tenu le rôle d'épouse, rôle qui se révélait bien plus ardue qu'il ne semblait paraître compte tenu des exigences et de l'entourage de Lucius. Narcissa avait pour habitude de côtoyer une gent presque exclusivement masculine et bien moins agréable que la compagnie de Dumbledore. En fait, le seul fait de tisser un nouveau contact humain la tirait vers le haut et la soulageait d'une manière inattendue. Cette relation-là, bien qu'éphémère, n'était pas basée sur l'hypocrisie ou des relations diplomatiques. Malgré son angoisse toute naturelle, elle se détendait seconde après seconde.

Dumbledore lui adressa une sorte de clin d'œil, comme s'il venait de lui confier un secret d'une importance capitale. Cette familiarité déconcerta un court instant Narcissa avant qu'il ne reprenne, d'une voix parfaitement neutre :

— Que diriez-vous de me suivre dans mon bureau ? Nous y serons mieux pour discuter des modalités.

— Les modalités ? Mais je croyais que nous avions tout réglé. Je suis prête à vous donner l'argent nécessaire.

— Je ne demande rien de tel.

Narcisa faillit lâcher qu'apporter son aide à cet établissement la tentait curieusement. Pour les enfants bien sûr, mais l'idée que la Résistance en avait fait une sorte de quartier général éveillait en elle des sentiments plus contradictoires, moins tranchés. Elle ne savait qu'en penser et préférait établir une distance raisonnable entre ces débats et elle. Les manœuvres de la Résistance ne la regardaient en rien et elle avait convenu avec Dumbledore qu'elle fermerait les yeux sur leurs agissements. Après tout, ils disposeraient de ce qu'elle possédait de plus précieux, alors il n'était pas question de les compromettre. Narcissa se plaçait hors de cette guerre, elle continuerait à apparaître au bras de son époux, mais avait depuis longtemps compris que les idées véhiculées par les nazis bafouaient toutes les conventions. Elle ne voulait plus de cette guerre et signait, par sa présence en ces lieux, un geste plus que symbolique.

Cueillir les étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant