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Belfort, 18 février 1944.

Accoudé au grillage au fond du jardin qui bordait l'école, Harry achevait sa quatrième cigarette de la matinée. Hermione avait beau le morigéner, lui répéter inlassablement que se gâter les poumons et la santé n'avait rien d'un jeu sinistre, aucune menace et persuasion ne venaient à bout de cette habitude. Cela avait calmé le stress et la peine qui croissait, heure après heure, jusqu'à ne plus avoir l'effet souhaité. Dans cet instant, Harry sombrait dans une humeur tantôt maussade, tantôt presque agressive.

La rentrée avait amené un certain égayement dans l'école. Dumbledore et les quelques enseignants qui y travaillaient, tous de confiance, menaient l'établissement avec brio. Quelques enfants juifs y séjournaient parfois, pas plus qu'une poignée de jours avant d'être transférés ailleurs et leurs visages tristes dénotaient dans la légèreté des rires juvéniles. Harry les reconnaissait sans mal, ces enfants qui avaient connu l'horreur trop tôt et dont l'existence ne serait plus jamais exactement la même. Ces infortunés au désespoir palpable faisaient écho à une douleur trop longtemps enfouie. Harry priait pour qu'ils soient épargnés et pour que jamais ils ne connaissent l'enfer des camps. Il savait le sort qui leur était réservé si les Allemands finissaient par retrouver leur trace, une mort certaine et immédiate dans des camps pires encore que ceux de Schirmeck ou Dachau. Combien de ces enfants survivraient à cette guerre ? Combien connaîtraient encore le sort des milliers de juifs gazés, assassinés de sang froid ou torturés jusqu'à ce que mort s'ensuive avant que ce conflit n'atteigne son terme ? Harry n'était plus simplement endeuillé, il était las. Las et désespéré.

Il se rappelait du regard qu'un de ces enfants lui avait adressé un après-midi calme de ce mois de février. Il devait compter à peine une dizaine d'années et n'avait connu presque que la guerre. Un horizon désolé et une perspective qui se réduisait à la survie. Cet enfant aux joues creuses et au regard hanté par des fantômes anonymes faisait partie d'une génération entière qui devrait se construire sur les ruines d'une Terre meurtrie et saccagée. Une génération sacrifiée sur l'autel de l'égoïsme et de la peur, d'un nationalisme éhonté et d'une violence sans cesse renchérie.

— Tu devrais retourner à ta classe, articula Harry, plus bouleversé qu'il ne l'aurait souhaité.

— Pourquoi ?

— C'est important d'apprendre.

— Pourquoi ?

Harry déglutit et affronta le regard de l'enfant. Une dizaine d'années et des questions plein la bouche. Son aîné sut que cette répartie éternellement renouvelée n'était que le fruit d'une interrogation plus profonde couplée à un sentiment d'injustice dévorant. Pourquoi cette vie piétinée ? Pourquoi la mort qui surgissait à chaque coin de rues ? Pourquoi cette guerre ? Il y avait une forme d'insolence dans les propos, de bravade, presque de défi. Comme si le gamin mettait au défi cet adulte incertain et le provoquait afin de trouver les réponses qu'il cherchait si désespérément.

— Parce que ce sont des gens ignorants qui ont décidé de se faire la guerre. Apprendre, c'est s'assurer qu'il n'y en aura pas de nouvelles.

L'enfant se décomposa, toute assurance perdue. Il était blême dans l'ombre d'un couloir où Harry l'avait surpris en train de fuir l'enseignement d'une certaine Minerva. Celle-ci n'apprécierait que très peu le comportement de son jeune élève si elle le découvrait à cet instant précis. Harry s'accroupit pour se trouver à la hauteur du garçon. Ses genoux protestèrent, les séjours successifs à Schirmeck et à Dachau avaient entraîné des conséquences inattendues. Le froid dans ses os, en particulier lorsque l'hiver revenait, lui était particulièrement pénible. Il se garda pourtant de grimacer.

Cueillir les étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant