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Munich, 15 août 1943.

Lorsqu'Harry s'était réveillé, la première chose qui s'était imposé avec été sa solitude. Cette solitude glacée incarnée par l'absence cruelle de Draco. Dans ces instants, le cerveau humain devenait le pire ennemi qui soit. Harry avait demeuré dans la chambre confortable ce qui lui avait semblé être des heures. Conscient de la précarité de sa position, il n'avait pas tenté de s'évader de la pièce. Il avait patienté, il avait fixé son regard sur la porte désespérément immobile, jusqu'à ne plus y croire.

Et s'il s'agissait d'un piège ? Et si Draco l'avait abandonné à nouveau, comme il l'avait fait près de trois ans auparavant ? La peur avait fini par vaincre la raison et Harry avait enfilé des vêtements trouvés dans la penderie. Des habits au prix probablement exorbitant et qui flottaient sur son corps amaigri. Il avait toujours été plus petit que Draco jusqu'à ce que cela en devienne proche du complexe, mais désormais, sa minceur formait elle aussi un net contraste. Harry avait avisé son corps dans la glace et avait découvert un nouveau visage, une enveloppe charnelle diminuée.

Sa chair n'avait pas encore entièrement fondu comme c'était le cas sur les détenus plus anciens. Ses côtes saillaient sous l'épiderme fin, mais pas au point où leur arête semblait sur le point de fendre la peau. Le teint terme d'Harry témoignait notamment de nombreuses carences en plus d'une dénutrition. Son regard avait détaillé ces éléments jusqu'à les rendre prisonniers de ses souvenirs. Jamais il n'oublierait ce que le camp de Dachau renfermait. Des centaines, des milliers de vies humaines condamnées. Des êtres dont on avait méprisé la vie autant que l'humanité. Harry avait vu mourir des adolescents plus jeunes que lui et même quelques femmes, au loin, comme d'une ignoble normalité. Harry avait assisté aux appels interminables, entassés dans la cour, des appels qui duraient des heures jusqu'à ce que certains s'effondrent sur les pavés, qu'un chien n'attaque, lâché par un gardien particulièrement cruel. Jusqu'à en arriver à haïr son voisin parce qu'il empiétait forcément sur sa portion de nourriture qui était servie, cette soupe immonde dont on convoitait le fond de la casserole, plus nourrissant. Jusqu'à mépriser ces âmes errantes qui s'accrochaient si férocement à la vie.

Harry n'oublierait pas et peut-être formerait-il, bien plus tard, l'un des noyaux de la mémoire juive, de cette mémoire collective que la honte musèlerait. Pour l'heure, le jeune homme ne demandait qu'à se reconstruire. Se reconstruire, mais pas oublier, car si cela se présentait comme une solution plus commode qu'une autre, l'oubli reviendrait à souiller la mémoire des disparus. Pour se relever, Harry avait besoin d'un homme, de Draco et, en cette heure, son absence était plus douloureuse que jamais.

Peut-être que leur relation ne survivrait pas à la guerre, peut-être s'estomperait-elle avait les traumatismes de l'un, les devoirs manqués et les idéaux bafoués de l'autre, mais Harry ressentait la nécessité de leur donner une chance. Celle d'exister, de cueillir ensemble les étoiles que la fureur de milliers d'hommes avaient arrachées.

— Monsieur Potter ?

Harry se tira brusquement de son reflet et fit face à un homme bien étrange. Un être qui avoisinait à peine le mètre cinquante, aux oreilles démesurées, au nez proéminent et aux yeux énormes, globuleux, ouverts sur un regard humide. Là où Harry avait espéré voir apparaître Draco se tenait ce qui ressemblait plus à une caricature qu'à un majordome.

— Qui... êtes-vous ? C'est Draco qui vous envoie ?

L'espoir, le sale espoir, s'éprit du juif, aussi éphémère que violent.

— Je suis Dobby, monsieur, le majordome de la famille Malfoy et je suis envoyé par Lucius Malfoy.

Le choc bloqua la respiration d'Harry dans sa poitrine. Lucius ? Il n'avait jamais eu l'occasion de croiser sa route, mais on le dépeignait comme un homme dur, exigeant, parfois cruel. Un homme qui avait modelé son fils à l'image de ses ambitions. Sans le connaître, Harry le haïssait déjà et l'idée que cet être aussi puissant que redoutable soit informé de sa présence n'augurait rien de bon.

Cueillir les étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant