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Strasbourg, 10 août 1940.

La matinée touchait à sa fin et Hermione s'affairait déjà devant la cuisinière. Harry était sorti avec son père depuis une bonne heure rendre visite à un patient incapable de se déplacer. L'horloge annonçait presque midi et elle attendait patiemment leur retour.

La lame tranchante s'abattait à rythme régulier sur le pauvre légume qui rendait l'âme dans un son répétitif. L'esprit de l'Alsacienne divaguait tranquillement, cheminant de pensée en pensée sans même noter le mécanisme complexe qui l'amenait à ces multiples réflexions. Elle songeait rêveusement à Ron, à l'absence qu'il lui avait infligée en quittant soudainement la région cinq mois plus tôt. Elle n'avait cessé d'espérer son retour, maudissant cette fichue guerre qui les avait séparés et qui emportait jalousement les âmes innocentes.

La jeune femme suivait assidûment les nouvelles de ce que l'on pouvait aisément qualifier de « conquête hitlérienne ». L'avancée des nazis sur la France avait été fulgurante et si l'armée avait tout fait pour défendre ses précieuses terres, la guerre éclair n'avait laissé personne indemne. Une partie du pays était désormais occupée et Hermione imaginait sans mal les tourments rencontrés par ces pauvres gens. À cette simple pensée, son cœur se serra dans sa poitrine entre deux palpitations.

La guerre se poursuivait sur plusieurs fronts et les Anglais résistaient au nom de tous les opprimés. Les troupes livraient des combats acharnés contre les Allemands, se disputant les vies d'hommes et de femmes. Soldats et civils confondus. Tous ceux dont la vie n'était plus et ceux qui attendaient patiemment que leur tour arrive. Ici-bas, l'espoir semblait être une chimère bien pitoyable.

Hermione délaissa momentanément les quelques légumes que le rationnement faisait devenir de moins en moins nombreux. Une des nombreuses cruautés de l'occupant nazi, une douleur qui s'ajoutait péniblement à toutes les autres. Elle se dirigea vers la petite et discrète commode masquée dans l'ombre de l'escalier. D'un mouvement sec, elle ouvrit le tiroir pour découvrir, à l'intérieur, une photo datant d'à peine quelques mois. Un sourire triste, nostalgie d'un temps qui lui avait définitivement échappé.

Le cliché la représentait elle, accompagnée de ses deux amis. Harry souriait exagérément et derrière ses lunettes, les yeux se plissaient par le rictus qui dévorait ses traits. Au centre, Hermione se tenait bien droite, sa tignasse brune formant un halo autour de son visage. Son expression était plus mesurée que celle de l'autre et témoignait du même bonheur. Enfin, le bras passé autour des épaules de la jeune femme, les yeux de Ron pétillaient de joie. Sa chevelure flamboyante ne pouvait qu'être supposée, mais l'Alsacienne l'imagina sans peine.

—Ron...

Son tendre ami était parti si loin. Elle n'avait pratiquement eu aucune nouvelle de lui depuis son départ. Deux lettres, très vagues, lui étaient parvenues en l'espace de plusieurs mois. Le rouquin avait bien rejoint ses deux frères, Fred et Georges dans un lieu qu'il s'efforçait à garder secret. Une précaution en vu du risque que la missive soit interceptée par les Allemands.

Hermione se rappelait de l'instant où il était monté dans ce train pour disparaître dans un nuage de vapeur opaque. La douleur qui avait saisi sa poitrine à l'instant où elle avait dû prononcer ces terribles adieux. Inconsciemment, elle craignait de ne plus jamais revoir son visage plein de vie. La guerre ne laissait personne indemne et Ron pourrait très bien devenir l'illustration de cette triste réalité.

Soudain, alors qu'elle demeurait plongée dans ces tendres rêveries, une voix féminine s'éleva et lui tira un sursaut apeuré :

—Bonjour, Hermione.

L'interpellée manqua de laisser tomber la photo qu'elle tenait toujours entre ses doigts. Devant elle se tenait Luna Lovegood, comme si sa place avait toujours été de se trouver au beau milieu du salon des Granger. Elle ne semblait pas particulièrement gênée et dévisageait avec un savant mélange d'avidité et de curiosité le décor qui se présentait à elle. Fidèle à l'image qu'Hermione avait toujours eue d'elle, ses cheveux emmêlés retombaient en mèches blondes sur ses épaules. Un air rêveur collé sur son visage, ses vêtements loufoques lui avaient valu, depuis le plus jeune âge, des moqueries perfides de la part des autres enfants.

—Bonjour, Luna. Est-ce que je peux savoir comment tu es entrée ? se reprit rapidement Hermione, comme si elle s'adressait à une enfant égarée.

—La porte était ouverte alors je suis rentrée.

Elle ne parut pas prompte à poursuivre ses explications et semblait considérer sa présence en ces lieux comme parfaitement naturelle. Des boucles d'oreilles étonnantes en forme de radis, une forme qui attira l'œil de l'Alsacienne. Elle se retint de toute remarque, se contentant de dévisager son homologue féminin, attendant que cette dernière ne se décide à reprendre la parole.

Elle se balançait d'un pied à l'autre, gloussant presque silencieusement sans la moindre raison apparente. Une longue minute passa avant que Luna accepte de réorienter son attention vers le médecin qui lui faisait face. De sa petite voix fluette et suave, elle dit :

—Quelqu'un a laissé ça à la maison. J'ai pensé que c'était important alors je suis tout de suite venue te donner la lettre.

Le regard d'Hermione s'accorde aux dires de la plus jeune. Elle tenait effectivement entre ses mains maigres un morceau de papier scellé. Le cœur de la jeune femme alors qu'elle s'exclamait, précipitamment :

—Tu veux bien me la donner maintenant, s'il te plaît Luna ?

—Oh oui, bien sûr, tiens, affirma l'autre, obéissant sagement mais sans se presser.

Le soulagement qu'elle ressentit lorsque le grain du papier glissa entre ses doigts se dessina sur son visage. Elle pressa sans s'en rendre compte la missive contre sa poitrine, en oubliant presque la présence intrusive de sa cadette. Elle fit remarquer, au détour d'une réflexion restée inaudible :

—C'est joli comme maison. Je n'étais jamais entrée, mais l'intérieur me plaît beaucoup. Ça me rappelle la maison de campagne quand maman était encore là.

—Merci. Vous allez bien, toi et ton père ? s'enquit Hermione, sur le ton d'une conversation qui l'ennuyait profondément.

—Oui. Papa travaille beaucoup pour le journal et je l'aide comme je peux. La journée, j'aime bien m'amuser dans les champs. Il y a toujours des tas d'animaux, ils me connaissent maintenant. Ce sont comme mes amis. Mais papa dit que je devrais rester ici, ne pas sortir de la ville, alors je reviens toujours avant la nuit. Tu voudrais que je te ramène une édition du Chicaneur ?

—Pourquoi pas, oui. Harry pourra me le transmettre dès qu'il passera par chez toi, tu n'es pas forcée de venir jusqu'ici.

—Ça ne me dérange pas du tout, assura Luna, sans ressentir le malaise éprouvé par son aînée.

Ce ne fut qu'au terme d'un long quart d'heure que Luna consentit à rejoindre son domicile et à quitter celui où elle s'était invitée. Elle avait promis à son hôte de repasser dès que possible et d'être prudente. Un léger sourire flottant à ses lèvres, elle avait salué Hermione d'un signe exubérant de la main. Le médecin lui avait vaguement répondu, non pas qu'elle n'éprouve aucune sympathie pour la jeune fille mais parce que son attention se trouvait ailleurs. Sur une lettre qu'elle tenait fermement dans sa main et qu'elle brûlait de déchiffrer.

Fébrilement, elle rompit le pli et lut les quelques lignes écrites de la main hésitante du rouquin. 


Toujours vivant après cette rentrée scolaire 2019 ?

Dans cette première partie, on se centre sur le personnage d'Hermione. Une intervention rapide de Luna (toujours aussi décalée) et de notre rouquin préféré !

Je vous dis à la semaine prochaine pour la deuxième partie ! 

Cueillir les étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant