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Belfort, 23 août 1940.

Un homme courrait à perdre haleine dans les escaliers d'une imposante bâtisse. Il y travaillait depuis de longues semaines, servait le propriétaire des lieux du mieux qu'il pouvait. Il supportait son humeur exécrable sans broncher, sans même sourciller, sans songer à se plaindre. Il fallait bien dire que la paie qu'il touchait tous les mois avait de quoi lui faire fermer les yeux sur le caractère difficile de son patron.

Une missive à la main, il ne se permettait aucun repos. Le postier avait déposé la lettre quelques minutes plus tôt, aux alentours de quinze heures. Il avait tout de suite su qu'il s'agissait d'une nouvelle importante et qu'il ne devait surtout pas tarder à la transmettre au destinataire. Alors, sans ralentir l'allure, il dépassait les salles de classe encore désertées. Les cours n'avaient pas encore repris mais bientôt, les élèves regagneraient les bancs de l'école avec pour directeur, un Allemand. Un boche.

L'homme s'arrêta enfin devant la porte close du bureau. La respiration haletante, il s'octroya quelques secondes pour reprendre son souffle. Il toqua trois coups avant qu'une voix forte lui réponde, de l'autre côté :

—Entrez !

Et il obéit sans rechigner. Il plia légèrement l'échine, tendant la lettre devant lui comme pour se dispenser d'explication.

—Pourrais-je connaître la raison de ta visite ? De manière orale, je veux dire. Tu devrais en être capable.

—U-Une lettre pour vous, monsieur.

—Eh bien ? Mon courrier attend que je m'y intéresse, je ne crois pas t'avoir demandé de me déranger pour une vulgaire lettre.

—J'ai pensé que ce serait important, se justifia rapidement le garçon.

Il n'osait regarder le directeur bien en face, et lui rendre cette œillade qu'il savait intransigeant et dur. Derrière son bureau, l'homme le considérait avec une lassitude proche du dédain. Une pile de documents s'élevait face à lui, prémices d'une rentrée qui se faisait toute proche et qui serait mémorable.

—Et pourquoi donc ?

—Le destinataire est Draco Malfoy, avança l'employé, d'une voix mal assurée.

—Donne-la moi, exigea l'autre, dont l'intérêt fut immédiatement ravivé. Immédiatement.

La lettre en main, il l'ouvrit d'un geste sûr avant d'en rompre le pli. Ses yeux parcoururent rapidement les quelques lignes. L'écriture n'était pas celle de Draco, mais celle de Blaise qui expliquait rapidement une situation qui lui apparut comme délicate, voire désespérée. Les traits durs, il ne prit même pas la peine de réfléchir ne serait-ce qu'un instant avant d'annoncer, abruptement :

—Fais préparer ma voiture et appelle mon chauffeur, je veux que tout soit prêt pour mon départ demain, à huit heures.

Il se leva, ignorant le grincement de sa chaise. Pliant la lettre en quatre, il la glissa dans la poche intérieure de son costume. Le plus jeune balbutia, désappointé par cette prise de décision :

—M-Mais... et la rentrée ? Vous... Vous ne pouvez pas partir !

—Bien sûr que je le peux. Je serai de retour pour l'arrivée des élèves et je vous mets en charge de trouver quelqu'un apte à remplir cette paperasse à ma place. Vous pouvez prendre votre journée !

Et, sur ces mots, il quitta le bureau. Abandonnant son employé qui oscillait entre la joie et l'incompréhension la plus totale. Quelle mouche l'avait-il piqué ?

Cueillir les étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant