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Strasbourg, 10 juin 1943.

Harry parlait. Harry se confiait comme si l'invitation de Draco avait libéré la parole d'une entrave puissante. Plus rien ne retenait le flot d'aveux qui franchissaient d'ailleurs en nombre des lèvres du jeune juif. Les deux hommes s'étaient installés dans la salle à manger avant de se servir une tasse de café brûlante. Blaise et Hermione, par respect pour cet instant volé, avaient déserté les lieux.

Midi était largement dépassé lorsque le plus jeune en eu fini. La bouche, vide de mots et de plaintes, attirait toujours les yeux avides du blond. Lui qui, à aucun moment, n'avait interrompu le discours du Français. Il savait désormais ce qu'il fallait savoir et s'en trouvait à la fois honoré et bouleversé. En trois ans, leurs existences avaient pris des tournants tellement différents... C'était dans le récit de sa vie que Draco apercevait tous les dégâts de cette guerre.

— Tu savais, n'est-ce pas ?

— Mmh ? fit-il, trop absorbé par ses pensées pour construire un lien avec la nature de la question.

— Tu savais qu'un camp tel que Schirmeck existait ?

— La plupart des Alsaciens ne l'ignore pas, contra judicieusement l'Allemand.

— Donc, tu le savais.

— J'ignorais que tu y avais été enfermé.

Bien entendu, comment aurait-il pu en recevoir les échos ? Harry finissait sa tasse encore bouillante. L'atmosphère avait beau s'être considérablement détendue depuis leurs retrouvailles, un fossé demeurait entre eux. Les vestiges des erreurs et des non-dits.

— Depuis quand es-tu à Strasbourg ?

— Un mois, avoua Draco, à contrecœur.

— Et qu'est-ce qui te retenait cette fois ? Une urgence ?

— Non, je craignais ta réaction. Je pensais que tu me tuerais, sourit très gauchement l'aristocrate allemand.

— Tu m'as l'air plutôt vivant, pour un mort.

— Tu t'es montré plus clément que ce que je présageais. Je suis... vraiment heureux de te revoir, Harry. Crois-le ou non, mais ces trois ans ont été une véritable torture pour moi aussi.

— Raconte-moi.

Le Français ne demandait pas une faveur, il exigeait qu'autrui y réponde. Il n'y avait pas la moindre trace de supposition, mais simplement un ordre pur et simple auquel Draco devait se soumettre. Et Draco ne joua pas les bêtes indomptées, préférant se plier au désir impétueux de son homologue plutôt que s'attirer ses foudres une fois encore. La gorge sèche, il avala une gorge de café en grimaçant sous l'amertume de la boisson. Il n'en avait jamais été friand, mais le liquide lui semblait encore plus imbuvable qu'à l'ordinaire. Il ne vantait que les vertus énergisantes du café, et non son goût. Il réclama, de son éternelle voix traînante :

— Tu n'aurais pas plus fort ?

— Non, je n'ai pas de café plus fort qu'un café noir, désolé.

— Je parlais de quelque chose d'alcoolisé.

— Non plus, répondit Harry, sèchement et après avoir vrillé un regard accusateur sur son amant. J'ai mieux à faire que de dépenser mes tickets de rationnement en alcool.

— On dit que ça aide à tenir le coup.

— Tu en sais quelque chose, apparemment.

— L'alcool que vos commerçants vendent est une aberration, tu fais bien de ne pas gâcher des tickets pour ça !

Cueillir les étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant