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Strasbourg, 16 août 1943.

L'aube projetait ses nuances pâles sur l'Alsace et sur Strasbourg. Le soleil s'octroyait quelques instants de répit, mais quelques couleurs audacieuses se peignaient déjà. Harry n'avait pas fermé l'œil et les quelques phases de somnolence qui avaient troublé sa veille. Il avait le teint pâle, le visage amaigri et défait, pas un sou en poche et la mort dans l'âme. Il avait été bloqué dans la gare lorsqu'il était arrivé, tard dans la soirée. Les britanniques avaient choisi ce jour pour cribler de missiles le territoire annexé par le Reich.

Harry passa une main lasse sur ses traits marqués par l'épuisement. Il avait laissé son matelas à une femme d'apparence aussi fatiguée qu'il l'était et celle-ci l'avait remercié d'un regard. Cette guerre exaltait la morale de chacun et on observait des actes égoïstes comme des actes de générosité. L'humain se dévoilait tel qu'il était vraiment dans le chaos le plus total, lorsqu'il ne subsistait rien de sa prétendue humanité.

Les heures interminables de la nuit passées heurtèrent Harry de leur intensité.

Le train venait tout juste d'arriver en gare et le jeune juif avait quitté sa place presque avec regrets. Il était revenu chez lui, là où il aurait souhaité se rendre si seulement les circonstances de son retour n'étaient pas aussi dramatiques.

Severus, mort.

Draco, disparu, envolé, peut-être à jamais.

Hermione, Blaise, Georges ? Le seul espoir qui le forçait à quitter le quai pour se rendre dans la demeure qui l'accueillait depuis de longs mois était celui de les revoir tous, sains et saufs.

Mais à peine Harry avait-il quitté la voie, il traversait le vaste hall qui desservait les quais ainsi que les trois sorties de la gare, qu'un sifflement avait vrillé ses tympans. L'incompréhension, d'abord, ce froncement de sourcils incrédule suivit d'une impression sournoise, celle du danger. Les indications visuelles et auditives avaient soufflé au cerveau d'Harry un seul ordre : la fuite.

La masse qui se regroupait en ces lieux, ces voyageurs insouciants ou pressés, fatigués ou rendus euphoriques par un départ, un retour, empêcha tout mouvement véritable. Harry aurait pu se faufiler entre ces corps, mais à quoi bon ? Il avait assisté aux réactions diverses des hommes lorsqu'une situation terrifiante se présentait. Quelques instants de flottement, le temps que l'information se fraye un chemin périlleux jusqu'au cerveau, puis la panique, la panique à l'état pure. Ils ne comprenaient pas précisément ce qu'il se passait, mais ils étaient conscients d'une chose et d'une seule : le danger qui planait sur leurs vies.

Suite à cette prise de conscience vive, brutale, qui avait activé chez lui des réflexes parfois décalés, Harry avait cédé à l'exigence de la situation. Il garderait des souvenirs flous, imprécis, de ce qui avait suivi, sa perception mise à mal n'avait pas suffi à immortaliser ces instants. Ces quelques minutes, puis ces longues heures, suspendues entre la vie et la mort.

La foule avait repris vie, certains avaient comme perdu la raison. Ils se bousculaient, cherchaient une issue, comprenaient qu'ils ne l'atteindraient pas, jouaient des coudes, quitte à piétiner le misérable qui se trouvait sur leur route. Le chaos avait soufflé sur ce lieu et, avant qu'ils n'aient précisément conscience de ce qui se produisait, ils s'acharnaient déjà à survivre. Un enfant hurlait à s'en déchirer les cordes vocales. Peut-être un môme qui avait perdu la trace de sa mère, peut-être un gamin dont la génitrice aurait oublié tout sens de la responsabilité pour sauver sa peau. Qu'importait la réponse exacte, Harry s'arrêta sur ce détail en particulier, ce détail qui concentra, en l'espace d'un instant, toute son attention. Il aurait pu porter son dévolu sur la vieille femme qui vacillait, heurtée par une brute, ou sur l'homme qui suffoquait, immobile au milieu du grand hall. Ce fut le petit garçon et Harry, en deux enjambées, le rejoignit.

Cueillir les étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant