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Strasbourg, 16 juillet 1943.

À l'heure où le soleil se leva enfin, paresseusement et sans jamais se presser, Harry crut voir leur calvaire s'achever. Draco se leva à ses côtés, encore hagard, le corps abruti par la nuit cauchemardesque qu'il venait de traverser. Il croisa le regard de son ami, Blaise, dont la fatigue ne faisait aucun doute possible.

Hermione étirait ses membres endoloris avant d'avancer jusqu'à la fenêtre. Après un court instant d'hésitation, elle consentit à jeter un bref coup d'œil circulaire vers l'extérieur. Elle s'était attendue au pire durant ces longues heures qui les séparaient du jour et, en comparaison, le décor qui se peignit sous ses yeux lui parut bien anodin en comparaison. Des bâtisses avaient été endommagées, certes, mais bien en-deçà de ce qu'elle avait pu présager. Elle se raisonna : il ne s'agissait que de la vue dont elle disposait, dans quel état se trouvait la ville de Strasbourg ? Quels étaient les dommages exacts ?

Elle se ressaisit et se retourna en direction des trois hommes. Ils semblaient plus désemparés qu'elle ne l'était et cela aurait pu lui tirer un sourire en d'autres circonstances.

— Je vais nous faire un café, déclara-t-elle, s'élançant d'un pas décidé vers la cuisinière.

— Mione... protesta Harry. Il y a peut-être mieux à faire que...

— Tu devrais te regarder dans un miroir, Harry. Tu as des cernes jusqu'au menton, tu ne seras pas bien utile si tu n'es pas réveillé.

L'Alsacienne avait pour habitude de materner autant d'hommes. D'abord Ron, un bordélique né et Harry, puis Harry et Blaise auxquels s'ajoutaient la figure de Draco, figure dont elle ne savait quoi penser. Sous ses commandements, aucun de ces êtres fiers ne protestaient. Dos à leurs visages cernés par l'incompréhension, le doute et la crainte, elle s'affairait en silence. Elle les entendit s'effondrer sur les chaises, les mains posées sur la table où ils avaient croupie durant de longues heures. Quelques minutes suffirent à la jeune femme pour achever la préparation du café, breuvage qui se raréfiait, mais que Blaise parvenait à se fournir grâce aux services rendus. Elle versa la boisson dans des tasses émaillées et s'assit à son tour, dégustant la brûlure du liquide amer. Même Draco s'y plia sans protester, trop épuisé pour y songer.

— Ils vont avoir besoin d'aide, dehors, déclara Harry, avec une poigne qui n'avait rien de feint. C'est la première fois que les bombardements sont aussi violents, il va y avoir des blessés et même...

— Oui, approuva Hermione, soucieuse de couper court à la phrase de son ami avant qu'il ne prononce un mot qui leur aurait coupé tout appétit. J'irai avec toi, on pourrait se séparer et examiner la situation.

— Des soldats allemands seront partout. Ils n'hésiteront pas à vous mettre le grappin dessus, même si vous ne faites que soigner les blessés, intervint Blaise, qui réfléchissait déjà à l'art et à la manière de se rendre utile.

— Ils n'y verront que du feu. Mione et moi, on aura qu'à se mêler aux infirmiers. Pas au centre-ville, bien sûr, mais dans les quartiers moins surveillés. Les boches seront trop occupés pour remarquer notre présence, crois-moi !

Draco tiqua à l'énonciation de l'appellation peu élogieuse. Il grinça des dents tandis que le métis ne réagit même pas, parfaitement impassible. Il avait pris l'habitude de ces propos dégradants et s'en accommodait presque. En réalité, il ne se considérait plus comme Allemand, ni comme appartenant à n'importe quelle nation. En temps de guerre, aucun Etat ne valait mieux qu'un autre et s'il y avait toujours un qui se distinguait par sa cruauté, l'inverse ne correspondait pas aux espoirs pacifistes de n'importe quel homme. Blaise agissait selon ce qu'il pensait être le mieux, il agissait pour les autres. Aux côtés d'un tel dévouement, un simple statut inscrit à l'encre noire sur un passeport paraissait bien secondaire.

Cueillir les étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant