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Strasbourg, 7 août 1940.

La nuit venait de déposer son encre sur l'humanité toute entière. Ainsi, dans l'obscurité la plus incontestable, les Hommes paraissaient enfin égaux. Le voile tombé sur Strasbourg rendait le silence opportun, naturel même. Le masque porté par les derniers éveillés les sauvait de la folie des leurs. A moins que ce soit l'inverse, que cela les condamne en secret.

Les rues étaient entièrement désertes. Repoussant les pulsions de quelques téméraires désireux de trahir l'interdiction. Le couvre-feu était passé depuis une bonne heure et personne ne cherchait à combler le vide des ruelles, de peur de se voir arrêté.

La veille, des trains bondés étaient arrivés en gare de Strasbourg. Les premiers réfugiés avaient retrouvé leur terre natale sous les acclamations allemandes depuis seulement quelques heures. L'opération lancée par les hauts-dignitaires allemands avec la collaboration française veillait à repeupler toute la zone frontalière, celle qui longeait la Ligne Maginot et qui avait été vidée de ses habitants. Les convois quittaient les régions de la France entière et ceux qui avaient outrepassé la loi se contentaient d'observer cet étrange phénomène. Les quelques centaines de personnes résidents à Strasbourg accueillaient les évacués d'urgence tenus loin de leurs terres durant près d'un an.

Les Alsaciens avaient retrouvé leur Strasbourg natal. Les convois de trains avaient été ramenés jusqu'au pays, et tous ceux qui avaient fui leur foyer l'avaient regagné un peu plus d'un an plus tard. Les rues s'emplissaient à nouveau de vie, sans toutefois se dépourvoir de cette aura sombre. La menace allemande, omniprésente, avait bouleversé ceux qui avaient sagement obéi à l'ordre d'évacuation proclamé en septembre 1939. Ils étaient désormais Allemands, et on leur rendait une ville bien différente de celle qu'ils avaient quittée tantôt. Un lieu changé, méconnaissable derrière ses emblèmes nazis, sa propagande et sa surveillance perpétuelle par les soldats de la Gestapo.

Harry ignorait ce qu'il faisait dehors exactement. Il venait d'achever sa besogne et aurait très bien pu retourner chez lui rejoindre Morphée et l'unanime majorité des habitants. Conscient du risque, il brisa sans rougir l'uniformité des dalles, y imposant la courbe de son corps. Sa silhouette se mêlait ainsi à son ombre, si bien que seule la lueur blafarde de la lune permettait d'en détacher les deux.

Le jeune homme flânait sans but, sans trop savoir où le mènerait sa marche nocturne. Ses yeux rendus d'obsidiennes par ce sombre paysage couraient après les étoiles et leur superbe clarté avant de se rabattre sur la façade des maisons dont l'architecture originale le surprenait toujours. L'émotion qui lui tenait le cœur lui échappait entièrement. Il ne saurait dire s'il se sentait plutôt heureux, un bonheur insignifiant mais serein, comme tous ceux que la guerre pouvait offrir, ou plutôt morose.

Il venait d'avoir vingt-deux ans. Un bel âge, une fierté pour beaucoup de jeunes garçons. Mais pour lui, cela avait failli lui sembler être un jour ordinaire. Hermione avait bien sûr organisé une petite fête, quelque chose de bien modeste mais de convivial. L'absence de Ron n'avait quitté ni l'Alsacienne ni ce qui était devenu son meilleur ami. Le souvenir de la guerre s'était rapidement invité et Harry avait conservé son maigre sourire, comme pour les rassurer tous. La lettre du rouquin lui souhaitant son anniversaire lui était parvenue deux jours plus tard, comme un rappel de leur amitié bafouée.

Ici-bas, sans l'amitié de ce garçon, l'existence sonnait absurde. Les lois n'avaient cessés de se raidir, interdisant toute illusion de liberté. Les associations sportives venaient tout juste d'être interdites, au détour d'une vie bien trop amère pour être pleinement vécue. Harry lisait en ces nouveaux termes, toujours plus nombreux, une profonde atteinte à son intégrité.

Cueillir les étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant