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Strasbourg, 2 juin 1943.

La nuit était tombée depuis plus d'une heure et les rues désertes s'offraient au regard de Draco Malfoy. Celui-ci ne s'y attarda pas, une cigarette coincée entre les lèvres. Le pas énergique, il évoluait sans se perdre dans cette ville qui, après des années d'absence, n'avait jamais cessé de lui paraître familière.

Son retour à Strasbourg datait d'environ trois semaines, et ce laps de temps lui avait suffi à reprendre des habitudes. Une capacité d'adaptation issue du soulagement de quitter enfin Munich, de s'éloigner durablement de Pansy, et de la fébrilité dans cette ville bourrée de souvenirs. Chaque jour, sa mémoire le lui rappelait, et lui imposait des images qu'il aurait aimé dissoudre à jamais. Un jeu cruel, entre renaissance et déchéance, dont il n'était que le docile petit pantin.

Draco s'était rapidement familiarisé avec ses nouvelles fonctions. Lui qui avait l'habitude qu'on se plie au moindre de ses désirs jouissait de sa suprématie avec un plaisir non feint. Tous ces subalternes lui obéissaient au doigt et à l'œil, ne contredisaient que rarement sa position et lui vouaient un respect fort agréable. De plus, le blond pouvait se vanter d'une totale liberté de mouvement. Il surveillait le travail des Allemands, punissait les feignants et les moins efficaces, et gardait un œil sur les Français, eux si prompts à trahir leurs bienfaiteurs.

Les idées qu'Harry lui avaient susurrées à l'oreille avant et pendant leur liaison quittaient peu à peu son esprit. De son point de vue, il redevenait libre de ses réflexions. Pour tous les autres, nous compris, il s'enchaînait à nouveau à la doctrine nazie, à son aveuglement passé et à son allégeance d'antan. Si le jeune juif avait terni son dévouement de sa folie de révolté, Draco se guérissait, jours après jour, de cette influence néfaste, de cette manipulation sordide.

À son retour à Strasbourg, le jeune aristocrate avait vu ressurgir les idéaux d'autrefois. Intacts malgré les presque trois ans de séparation, comme si la ville même lui soufflait le poids de sa faute. Harry se trouvait là, tout près, à quelques kilomètres seulement. Il lui serait si aisé de lui rendre visite, de plier le genou et de se confondre en excuses. Mais Draco se trouvait dans l'incapacité de s'y prêter, de peur de sombrer à nouveau, de s'abandonner à l'imprévu et aux conséquences désastreuses induites par la passion. En vérité, le lâche savait qu'il ne saurait tenir tête à son amant d'hier, et que le refus de croiser son regard reposait sur la peur de ne pas y résister.

Draco rentrait de son bureau en cette heure tardive. Le cours de ses pensées lui échappait dans un accès de distraction pensif et préoccupé. Il tâchait de ne pas trop penser aux défaites que le Reich essuyait depuis celle de Stalingrad, à cette guerre d'anéantissement qui ravageait tout, à la déchéance progressive de son pays. Sa place privilégiée ne lui épargnait plus toutes ces pénibles nouvelles et, la dernière en date, était la reddition des forces de l'Axe en Tunisie. Un échec cuisant qui venait s'ajouter à un ciel déjà sombre. Cette atmosphère, bien loin de l'engouement des premières heures du conflit en septembre 1939, se reflétait partout. Draco le pressentait jusque dans l'effectif qu'il dirigeait, dans cette frénésie désespérée de ceux qui atteignent les limites d'une foi quasi hérétique en leur chef.

Le jeu se retournait contre celui qui avait, dans un éclat de folie, engagé la partie. Les pions tombaient, un à un, et les Alliés touchaient au but dans une stratégie implacable et minutieuse. Bientôt, l'Axe ne désirerait plus qu'achever les ravages entrepris chez les pièces ennemies. Dans un silence glaçant, chacun patientait. L'un ou l'autre clamerait bientôt le fatidique : échec et mât !

Arrivé aux abords du logement qu'il occupait depuis son arrivée, Draco dégaina ses clés avant de remarquer que la porte n'avait pas été scellée. Le blond, d'une méfiance redoutable et justifiée, s'immobilisa. Sa femme de ménage ne devait passer que le lendemain, et n'oubliait jamais de tourner le verrou. Qui cela pouvait-il bien être ? Une maîtresse particulièrement entreprenante ? Le blond en avait eu une demi-douzaine depuis qu'il avait mis les pieds sur le sol alsacien, mais aucune d'elles ne portait ces caractéristiques. Alors quoi ? Jamais Draco n'aurait oublié un détail aussi important. Ses tiroirs regorgeaient de documents confidentiels et classés top-secret, jamais il n'aurait omis de fermer à clé son entrée.

Cueillir les étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant