Front Est, 25 décembre 1943.
Le camp allemand était enfoui sur plusieurs dizaines de centimètres de neige. L'atmosphère qui y flottait ne saurait être décrite. Un mélange de peine et de légèreté. Noël était là et même en ces lieux reculés, à des milliers de kilomètres des familles de ces soldats, l'esprit de fête s'invitait. Néanmoins, célébrer l'occasion ici même, à des centaines de mètres à peine des endroits où nombre d'entre eux étaient morts avait quelque chose de déplacé, de bouleversant.
La majorité des Allemands s'efforçaient de sourire, de profiter de cette accalmie et, d'une certaine manière, Draco les comprenait. Ils n'avaient pas pu avoir de permission pour rejoindre leurs familles au moins quelques jours et fêter comme ils le pouvaient Noël se révélait comme une maigre compensation. Les supérieurs, les commandants aux traits tirés et au verbe dur, réussissaient aussi à dérider. Malgré le froid, une bonne humeur nuancée s'était éprise de ces camarades. Si l'heure n'était pas encore tardive, quelques verres d'alcool bon marché avaient suffi à insuffler une joie éphémère dans ces corps épuisés.
— Double dose pour ce soir, profitez-en !
Le cuisinier riait grassement sans cesser de resservir tous ceux qui ne crachaient pas sur l'occasion de se remplir l'estomac. La nourriture au front était infecte. Infecte et souvent insuffisante. Ce repas de fête comblait donc ces hommes privés de tout contact avec le monde. Certains s'étaient retirés pour profiter d'un peu d'intimité et ouvrir les cadeaux envoyés par leurs proches, leurs femmes, leurs enfants. La veille, des dizaines de véhicules étaient arrivés pour déverser le courrier des familles et tous les présents destinés à rendre ce Noël dans ces terres hostiles moins pénible.
— Eh, toi, t'es pas bien épais ! Donne-moi ton bol, que je t'en remette !
Draco releva la tête de son repas, sourcilla et comprit que le cuisinier s'adressait bien à lui. Ici, il n'était plus le fils du puissant Malfoy, un des hommes de confiance du Führer, mais un soldat qui, de ce fait, n'avait droit à aucun traitement de faveur. Il peinait à gagner la confiance de ses supérieurs et son attitude au combat ne brillait pas plus que celle de ses camarades. Les promesses ne menaient à rien et si Draco espérait toujours gagner du galon, certains gradés n'hésitaient pas à se dresser sur sa route. Pour quelle raison ? Pour le plaisir de mener la vie dure à un homme qui avait toujours connu l'abondance et le confort ?
— Non, c'est gentil.
Il en avait probablement besoin. Son corps s'amaigrissait, s'affinait alors qu'il avait toujours eu une silhouette mince. Mince, mais élégante. Si sa maigreur était encore loin d'être préoccupante, il s'imaginait déjà réduit à l'état de squelette, exactement comme les malheureux qui périssaient à Dachau comme dans tous les camps allemands ou polonais. Tous les enfers avaient leurs spécificités et, désormais, Draco avait achevé de se familiariser avec le sien.
Il acheva son repas, glissa une tranche de pain dans la poche de son épais manteau qui ne parvenait pas à couper le cours inflexible de la bise et s'apprêta à fausser compagnie à ses camarades. Il n'avait pas sympathisé avec la plupart d'entre eux, mais ne méprisait pas leur bonne humeur. Il n'avait pas connu pareille légèreté depuis son arrivée quatre moins plus tôt. Il aurait dû en profiter, se mêler à ces gens qui danseraient et chanteraient jusqu'au petit jour et aucun ne lui en tiendrait rigueur, mais à quoi bon ? L'envie manquait et au risque de jouer les troubles fêtes, Draco préférait encore se retirer et les laisser à leurs divertissements. Certains brandissaient leurs cadeaux, les exposaient à la vue de tous. Un dessin au fusain d'une enfant, la lettre touchante d'une épouse fidèle, des babioles que ces hommes agitaient comme des trésors. Draco faillit sourire et il l'aurait sans doute fait si cela ne lui rappelait pas sa propre solitude.
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Cueillir les étoiles
FanfictionLe 1 septembre 1939, le second conflit mondial éclate. Deux idéologies s'opposent et s'affrontent avec pour unique objectif l'anéantissement ennemi. Quelques mois seulement après le début des combats, la France accuse une cuisante défaite. L'Alsace...