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La conversation méritait de se poursuivre. Jamais, au grand jamais, Draco n'avait osé tenir tête à la figure paternelle autoritaire, indiscutable, et il franchissait le pas dans l'urgence. Il se protégeait à la fois lui et Harry, il protégeait la pensée individuelle qu'il avait soustrait au joug de son éducation. Il avait eu le courage de tenir tête à son père, mais la lâcheté se matérialisait déjà et Draco tourna les talons. La main sur la clenche, il s'apprêtait à reproduire le chemin inverse et à fuir, purement et simplement. Il s'apprêtait à disparaître lorsque la voix impérieuse de son père le retient :

— Draco ! Je te défends de quitter la pièce !

L'autorité écrasa la folle initiative de Draco qui suspendit son geste. Des émotions contraires s'élevèrent en son sein. Partagé entre l'envie de mener à son terme ce stupide accès de courage et l'inflexion de sa raison qui lui hurlait d'arrêter net cette mascarade. Il était encore temps de s'excuser, de revenir sur ses paroles et d'effacer les traces d'une dispute aux conséquences irréparables ? Les mèches blondes, énièmes détails qui le rapprochaient de la figure intouchable, inhumaine, de son père, couvrirent ses yeux tourmentés. La voix de Lucius asséna le coup de grâce dans son dos :

— Je veux la vérité, Draco. Tu as déjà sali la famille Malfoy par ton mensonge, n'y ajoute pas la marque de ta lâcheté ! Je veux la vérité, qu'elle me plaise ou non !

Avec la même lenteur que son père quelques instants plutôt, Draco se retourna lentement, comme si chaque geste éveillait en lui une douleur absurde. Il cligna des yeux et darda un regard dur dans celui de Lucius. Pour la première fois en une vie, il vit son géniteur frémir. Un mouvement de recul quasi imperceptible, mais l'œil acéré de Draco le capta. Une maigre victoire ou la preuve que, quoi qu'on en dise, il n'était pas encore tout à fait insignifiant.

— Je ne suis pas certain que vous soyez prêt à l'entendre.

— Ce n'est pas à toi d'en juger, siffla Lucius, avec la vigueur d'un homme encore vigoureux, toujours aussi sévère.

— Il s'agit de ma vie, d'une part de celle-ci tout du moins, une part que vous ne pouvez pas contrôler ! Une part qui n'appartient qu'à moi !

— C'est pathétique... Toi, un Malfoy...

Les ongles de Draco mordirent la peau fine de sa paume tandis qu'il serrait les poings à s'en briser les phalanges. Tout s'effondrait et plutôt que de lécher sa blessure comme un animal, il préférait tempêter. La fureur plutôt que la douleur, hautement préférable, mais pas éternelle. Bientôt, dans une heure, dans une minute, Draco s'effondrerait devant les vestiges de sa vie à jamais réduite à néant. Son père en tirait toujours les fils et l'erreur malheureuse que sa progéniture avait faite la veille allait lui coûter bien plus qu'un honneur bafoué. Draco ne le réalisait pas encore, mais tout était sur le point de s'écrouler, pièce par pièce.

— Depuis quand me dupes-tu ?

Un silence buté lui répondit et la colère déformait les traits du père, comme celui du fils. Le patriarche reprit, les mains crispées sur le pommeau de sa canne, comme s'il s'apprêtait à l'abattre sur le corps fier de son unique héritier :

— La cuisinière a tardé cette nuit et elle vous a aperçu. Toi et ce... ce vaurien ! Cette infâme pourriture ! Elle est immédiatement venue m'en informer, me rassurer quant au retour de mon fils au Manoir. Tu n'étais pas perdu, tu ne t'étais pas égaré, tu étais même accompagné d'un homme.

Lucius détachait chacune de ses syllabes pour que leur venin s'écoule, pour que leur venin étouffe Draco qui endurait sans un mot le mépris de cette voix traînante. Il cligna des yeux, une main toujours refermée sur la clenche, prêt à abattre la poignée pour se sauver.

Cueillir les étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant