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Munich, 16 août 1943.

Draco manifestait une angoisse inévitable, montre en main, assit sur l'un des sièges qui bordait la pièce silencieuse.

Plusieurs autres hommes attendaient et même une femme s'invitait, écopant de quelques œillades traînantes, le menton haut pour prouver une indifférence feinte. Si l'héritier Malfoy avait pris goût à l'observation de chaque détail à son arrivée, plus d'une demi-heure plus tôt, il s'en était vite lassé. Cette observation minutieuse devait retarder l'échéance, le faire patienter et faire taire les divagations de son esprit. C'était peine perdue.

— Monsieur Malfoy ? C'est à vous, le colonel Fritzich est prêt à vous recevoir.

Une blonde, pimpante, se présentait, radieuse au point d'en oublier le professionnalisme d'usage. Draco redressa sa haute stature sans y prêter rigueur. Il agissait déjà comme un soldat, comme un de ces pantins sans âme qui avait vendu leur humanité pour ne pas ployer face à l'ennemi. Il suivit la jeune femme dans les couloirs sobres de cette institution où il n'avait jamais mis les pieds, mais qui lui semblait étrangement familière. Celle qui occupait manifestement le rôle de secrétaire ouvrit la porte et invita l'invité à y pénétrer avant de s'éclipser à nouveau. Draco s'avança et le bureau qui lui faisait face lui rappela l'épisode de la veille. L'homme qui y était affairé, rigoureux et sévère dans l'uniforme nazi qu'il ne quittait sans doute jamais, aurait très bien pu être Lucius.

— Monsieur Draco Malfoy, c'est cela ?

— Oui, colonel.

Le militaire se redressa et avisa l'homme qui lui était présenté. Draco se tenait bien droit, le menton haut, l'allure impeccable. Il y avait veillé, son père n'accepterait plus le moindre écart de comportement. Le jeune allemand avisa l'insigne accroché à la poitrine du colonel, la preuve du grade qu'il occupait et toutes les décorations qui piquetaient son uniforme. Un invalide, un homme blessé lors d'un des nombreux assauts dont l'Allemagne était rendue coupable, coupable ou victime, mais toujours victorieuse. L'intransigeance du regard du militaire épingla la silhouette de Draco qui se garda bien de broncher.

— Qu'est-ce qui vous envoie ?

— Mon père m'a assuré que cet entretient n'était qu'une formalité.

— C'est à moi d'en décider ainsi. Un père qui envoie son seul héritier sur le front alors que la situation y est instable, c'est soit de l'inconscience, soit une excuse. Je doute que l'un des hommes les plus renseignés et influents d'Allemagne ignore la situation sur le Front Est.

— Mon père ne l'ignore pas, admit Draco, du bout des lèvres.

— Je vous écoute, insista le colonel, sans ciller.

Draco frémit imperceptiblement. Son hésitation fut courte, mais signala à l'homme d'expérience qui lui faisait face à un doute, une histoire derrière l'engagement tardif de ce riche héritier. Le blond put presque entendre ses dents grincer avant qu'il ne renchérisse à sa propre invitation :

— Vous hésitez, pourquoi ? Je ne veux pas d'un couard qui ira déserter à la seule vue du sang. Avez-vous seulement déjà vu mourir un homme ?

— Oui, souffla Draco.

Qui, en période de guerre, pouvait se vanter d'avoir échappé à une vision aussi terrible ? Des morts, des agonisants, l'aristocrate allemand en avait vu passer. Il avait suivi un entraînement militaire certes moins rigoureux que ceux réservés aux jeunesses hitlériennes, il y avait échappé de peu et il savait que le niveau d'endoctrinement y était plus extraordinaire que nulle part ailleurs, mais il l'avait formé à des conditions de vie pénible. Si Lucius veillait sur son seul héritier malgré les apparences, il avait refusé d'en faire un faible, une victime qui se cacherait derrière sa fortune. Draco l'avait remercié en silence lorsque la guerre avait éclaté dans toute l'Europe en septembre 1939 et que de telles aptitudes s'étaient révélées indispensables. Des morts, il en avait vu défiler, un cortège même, lors des premiers attentats ou même lors d'un ou deux combats mineurs auxquels il avait à peine participé compte tenu de son rang. Certes, il avait déjà affronté la mort en face, croisé le regard fou des hommes aux corps déchirés, mais il n'avait pas été préparé à l'ampleur sanguinaire, à l'ampleur épouvantable, d'une vraie bataille.

Cueillir les étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant