Strasbourg, 28 juin 1940.
Harry s'avançait sans la moindre volonté. Une foule misérable se formait face à lui et il s'invita en son cœur, la gorge nouée par une terreur sourde.
Hermione se glissa à ses côtés, le rejoignant sans un mot. La tête basse, elle espérait disparaître au milieu de tous ces corps anonymes. Ses cheveux bouclaient dans un désordre parfait sur son crâne et ses yeux noisette fuyaient l'impitoyable réalité.
Le jeune juif ressentait douloureusement l'effervescence des Alsaciens. Il partageait leur peur et toutes les émotions qui se peignaient sur les visages défaits et fatigués. La défaite française se dessinait face à eux et il était impossible de la fuir une fois encore. Les rares personnes qui n'avaient pas fuit à l'ordre d'évacuation divulguée en 1939 regrettaient désormais de ne pas avoir saisis leur chance.
—Hermione, murmura Harry, à la manière d'une plainte.
La médecin lui octroya une œillade désolée avant de rétablir son attention sur le déchirant spectacle qui se jouait devant elle.
Les Allemands défilaient dans la rue qui bordait la Cathédrale de Strasbourg. Leurs visages suintaient une fierté qui se passait de mots, vestiges d'une humiliation passée qu'ils imposaient désormais. Les sourires sincères des soldats blessaient les âmes écorchées. Leur démarche assurée était celle des conquérants, des heureux victorieux paradant sur la terre vaincue. Il n'y avait rien de plus déchirant aux yeux des Alsaciens.
À la tête de ce lugubre cortège, des officiers d'élite évoluaient tranquillement. Le sérieux de leurs traits contrastait avec le bonheur évident qui était leur. Ils savouraient tous cette réussite, cette consécration au goût délicieux. Hitler se tenait quelques mètres devant eux, face au monument. Triomphant, chacun pouvait aisément imaginer un rictus glorieux et solennel sur ses lèvres.
Harry maudissait cet homme comme tous les soldats qui se pressaient sur le sol de la ville. Jamais aucun d'eux n'aurait dû mettre les pieds ici. Le jeune homme haïssait tous ces êtres sans même les connaître, rien que pour l'emblème cousu sur leur poitrine. Rien que pour ce que l'on avait fait d'eux. Il ne se doutait pas de l'envers du décor et ne se contentait d'observer que la façade clinquante et sanglante. La douleur se faisait trop vivace pour se voir ignorée.
—Cette fois, j'aurais préféré me tromper Harry. J'aurais vraiment préféré me tromper, souffla Hermione, au creux des faibles murmures et des protestations étouffées.
—Moi aussi, Mione.
Le surnom n'arracha même pas un sourire à l'intéressée qui luttait pour ne laisser les larmes dévaler ses joues rondes. Elle se mordit cruellement l'intérieur de la bouche. Ron avait peut-être bien fait de s'en aller, d'échapper à l'enfer avant que ses flammes ne les rattrapent.
—Il faut prévenir Ron, articula-t-elle, au prix d'un effort considérable.
—Il sera au courant bien assez vite, rétorqua Harry, très bas.
Ses orbes d'un vert très vif capturaient les silhouettes semblables des Allemands. Il inscrivit leurs profils sévères et les imagina sans mal commettre les pires crimes et sévices. Ces êtres allaient détruire son quotidien et les sombres prévisions d'Hermione ne paraissaient plus si loufoques.
—Ils vont faire comme ils ont fait chez eux, chuchota le juif, plus pour lui que pour son amie.
Il n'avait encore aucune idée d'à quel point il ne se trompait pas. Imaginer le pire pour récolter, humblement, ce qu'il restait du bonheur de l'espoir. Mais comment imaginer ce que l'esprit humain ne saurait entrevoir. La folie nazie, celle d'Hitler et de ses sympathisants, ne pouvait être prévue. L'horreur qui se dégageait de tout cela n'était qu'un simple aperçu d'atrocités sans nom. Ce que l'on préférait ignorer, de peur d'attiser le Mal chez soi et de ne plus pouvoir s'en défaire.
Harry, le cœur serré, voyait sa vie balayée d'un revers de main par l'ambition démesurée d'un homme qui se prétendait supérieur à ses semblables. Il ne parvenait pas à distinguer sa démence au cœur des machinations ennemies.
Il dévisageait longuement les visages anonymes. Il ne semblait voir que des monstres en eux, un amas de chairs et de sangs animé par la volonté de vaincre, de se venger et, surtout, de détruire. La haine montait en lui jusqu'à se répandre dans chaque part de son organisme.
Tandis qu'il observait courageusement ces faciès anonymes et victorieux, son regard se posa sur l'un d'eux. Il s'arrêta dans sa course effrénée et porta attention à ce jeune adulte qui paradait, juché sur un étalon de couleur crème. D'apparence très calme, il possédait la prestance de ceux capables de conquérir le monde en un claquement de doigts. Les œillades répétitives d'Harry eurent raison de lui mais pas de la maîtrise de ses sentiments qui demeurait impeccable.
Le menton volontaire et pointu dessinait un portrait atypique et séduisant. Des cheveux d'un blond presque blanc se rassemblaient sur la nuque de l'Allemand, accueillant les reflets blafard du soleil. La peau pâle de l'homme apparaissait comme parfaite, entièrement dépourvue de défaut. Deux prunelles brillaient comme deux lunes solitaires qui auraient trouvé refuge sur un corps humain. Ce regard hypnotique, Harry eut le malheur de le rencontrer. Le hasard, si jamais il venait à exister, les mena à un contact visuel aussi bref qu'intense. Le cœur du juif se serra dans sa poitrine si fort que le concerné crut, un instant, que l'organe finirait par s'arrêter. Il resta totalement immobile, résistant farouchement au mépris et à l'arrogance de l'officier SS. Il se perdit une seconde seulement dans cette immensité grise semblable au ciel mouvementé d'une nuit d'orage.
Puis, soudainement, tout cela pris fin. Le temps sembla reprendre son cours, tranquillement, sans se presser. Harry se tira de cette rêverie et laissa s'échapper l'auteur de son trouble sans même rien connaître de lui. Etait-ce un monstre au même titre que les autres soldats ? Un ange habité par l'âme d'un démon ? Une créature démente qui rependrait le sang au milieu des débris de Strasbourg ? Rien n'était moins sûr.
—Harry ? le héla Hermione, la main pressée devant sa bouche.
—On rentre ? la devança le susnommé, alors que, ici et là, on forçait les Alsaciens à exécuter le salut hitlérien devant le Führer en personne.
—Oui.
La médecin entreprit de s'échapper de la foule, de quitter cette masse fourmillante de peur. Harry la suivit, docilement. Il ne se retourna qu'au dernier moment, cherchant l'homme de tantôt. Il avait disparu au milieu des autres, se mêlant aux monstres comme eux s'étaient intégré à la population locale, sans un son ni une plainte. Sans même attirer l'attention.
Le juif rejoint son domicile, le cœur en peine et l'esprit malmené par de sinistres prévisions. Sans même savoir le nom de cet officier. Sans savoir qu'il se nommait Draco et qu'il s'apprêtait à marquer son existence au fer rouge.
Non, sans rien se douter du tout.
Une première rencontre un peu mitigée, n'est-ce pas ?
Harry aperçoit notre blondinet de loin et vice-versa, rien de bien concluant si ce n'est que la situation devient nettement plus tendue : l'Alsace fait désormais partie de la Grande Allemagne.
Le prochain chapitre verra une véritable rencontre entre nos deux personnages. Et oui, ils ne traînent pas ! Comment cette rencontre va se dérouler ? Dans quelles circonstances ? J'attends vos théories avec impatience.
La réponse, lundi soir ~
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Cueillir les étoiles
FanfictionLe 1 septembre 1939, le second conflit mondial éclate. Deux idéologies s'opposent et s'affrontent avec pour unique objectif l'anéantissement ennemi. Quelques mois seulement après le début des combats, la France accuse une cuisante défaite. L'Alsace...