Front Est, 10 octobre 1943.
Le monde vivait ses dernières heures, Draco en était intimement persuadé.
Son regard éteint reflétait un ciel morne et gris. Il était assis sur un sol dur, glacé, où la neige piétinée formait des amas boueux répugnant. Il s'étonnait encore de se soucier de tels détails esthétiques alors que le plus grand chaos régnait.
Le dos plaqué contre l'acier d'un blindé qui n'avançait depuis de longues heures, Draco respirait par saccades. Son arme pressée contre son torse, il semblait avoir oublié la manière d'en faire usage. Ses congénères, cette masse qui n'avait d'humaine que le nom, s'en rappelaient et arrosaient généreusement l'ennemi d'un déluge de feu. L'Allemand luttait contre une envie irrépressible de se couvrir le visage, de se boucher les oreilles, de crier à s'en déchirer les cordes vocales.
Les cris humains qui l'enveloppaient, la terre glacée, les températures hivernales qui lui gelaient les mains, les pieds le visage, Draco n'avait rien connu d'aussi insupportable. Comment un tel enfer pouvait-il être de ce monde ? Il lisait sur les visages que son regard croisait une haine viscérale, inscrite dans les gènes de l'humanité depuis sa genèse, une haine qui se communiquait surtout, d'homme à homme, gangrénant les cœurs et tout ce qui demeurait de bon, de juste. Draco connaissait ce mal pour être parvenu à s'en défaire. Ici, la guerre et la bêtise qui y était liée se révélaient omniprésentes et ce, à tel point que le jeune homme aurait pu en mourir.
Il observait frénétiquement autour de lui. Il ne cherchait pas à tuer ni même à se targuer d'une action héroïque. Non, il cherchait une issue, une manière subtile de fuir ce décor digne d'une apocalypse. Il n'y avait rien, ni chemin qui le mènerait en lieu sûr, ni lâcheté improvisée. Draco ne chercha même pas à justifier son instinct de survie. La guerre était inhumaine, profondément mauvaise pour chaque homme, alors pourquoi s'entêtait-il à la provoquer depuis la nuit des temps, depuis des âges reculés ? La réflexion que Draco portait sur l'homme à travers le voile du désespoir n'avait rien de glorieux. Il haït ces individus, alliés comme ennemis.
— Harry... gémit-il et son murmure se perdit dans les éclats des balles et des bombes qui ravageaient le sol soviétique.
Il avait prononcé son nom comme il aurait pu prononcer celui de sa mère ou de Blaise. Peut-être même celui de Severus, pour le supplier de ne pas le ramener à lui trop tôt. Draco ne voulait pas mourir et, par-dessus tout, il refusait d'expirer dans l'horreur indicible d'un champ de bataille. L'idée que l'on puisse retrouver son corps méconnaissable au milieu de tant d'autres, tous aussi amochés que le sien, lui était inacceptable. Il luttait avec le désespoir des condamnés et, condamnés, ils l'étaient tous.
Cette fois, Draco ouvrit un regard lucide sur le décor fade qui l'entourait. Un village ou, plutôt, la carcasse de ce qui avait autrefois accueilli des centaines d'habitants. Il ne restait de ces gens-là que des maisons éventrées que les blindés rasaient sur leur passage. Allemands et soviétiques, aucune distinction ne saurait être faite, ils ne valaient pas plus chers lorsqu'il était question de cruauté.
Draco avait trouvé refuge derrière ce blindé que des soldats avaient abandonné faute d'essence et il s'en rappelait à présent. Il conserverait des souvenirs vagues de cette bataille, l'une des plus violentes qu'il avait eu à traverser. Les soviétiques faisaient preuves d'une résistance peu commune et, surtout, ils disposaient davantage colossaux. Ils étaient plus habitués aux températures glaciales qui fauchaient les Allemands, leurs blindés étaient mieux équipés comme cela avait été le cas quelques mois plus tôt lorsque les nazis avaient décidé de leur prendre Stalingrad. La bataille que Draco traversait n'avait rien de comparable avec les combats urbains les plus féroces et les plus meurtriers jamais observés. Le blond comprenait pourtant que, lorsqu'on se trouvait au cœur de la violence déchaînée, les échelles d'intensité ne rimaient plus à rien. Seule la survie avait encore un prix et son prix s'élevait à celui du sang.
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Cueillir les étoiles
FanfictionLe 1 septembre 1939, le second conflit mondial éclate. Deux idéologies s'opposent et s'affrontent avec pour unique objectif l'anéantissement ennemi. Quelques mois seulement après le début des combats, la France accuse une cuisante défaite. L'Alsace...