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Front Est, 20 août 1943.

Quelques jours de voyage, d'escale, de préparatifs, avaient suffi à entamer la détermination de Draco. Il avait craint de se laisser anéantir par la prudence, par les précautions que son instinct lui soufflait et qui lui intimait de faire demi-tour. Les occasions avaient été nombreuses et prétendre qu'il n'avait pas manqué de succomber à chacune d'entre elles aurait été un bien vil mensonge. Draco était un homme d'honneur, mais un homme faible. Un homme qui n'était pas fait pour l'odeur de la poudre, pour la proximité de la mort, pour les charniers à perte de vue.

— C'est bien toi qu'on nous envoie de Munich ?

Un homme sec, de haute taille, le détaillait d'un air peu avenant. Il était l'un de ces militaires qui méprisait les soldats qu'il envoyait à la mort et qui ne rougissait pas du sang qu'il avait sur les mains. Sans se préoccuper de pareil détail, son bagage passé au-dessus de son épaule, Draco acquiesça lentement. Il arborait une expression neutre, un soupçon de froideur pour ajuster le tout. Il avait été accueilli avec une parfaite indifférence, croisant ici et là quelques regards fatigués, quelques têtes haineuses, quelques supplications muettes.

— T'as jamais vu ça, je paris !

Un homme de taille plus modeste accompagnait le sillage du commandant et ses manières, bien moins raffinées, heurtèrent Draco. Ses joues glabres et porcines, ces petits yeux enfoncés dans leurs orbites, tout cela attisait son mépris et il haït cet homme au premier regard, presque autant que l'aîné, qui le fixait sans se départir, debout devant le bureau sommaire qu'ils avaient dressé dans cette parodie de campement militaire.

— Tout dépend. Je suis peu coutumier à l'impolitesse, presque autant que je ne le suis de la guerre, articula Draco, le menton haut comme pour imposer sa présence dans un monde qu'il savait sans aucune pitié.

Le visage du plus petit se déforma dans une grimace froissée et, alors qu'il s'apprêtait à répondre une répartie bien sentie, son supérieur coupa court à cette dispute aussi ridicule que mal venue :

— Hänzen, dégagez-moi le plancher, l'heure n'est pas aux pertes de temps inutile et cette conversation se passera de vos chaleureuses bienvenues.

Il patienta un court instant, assez pour que le susnommé ravale sa fierté et ne quitte la tente dressée dans la précipitation. Draco se risqua à jeter un regard plus attentif au décor qui l'entourait. Le campement avait été dressé rapidement et la raison, si elle n'était pas assurée, s'imposa à Draco. L'armée allemande reculait et on n'avait guère le temps de solidifier leurs positions. Ils se trouvaient à quelques dizaines de kilomètres des blindés soviétiques et l'angoisse des combats se lisait sur tous les visages. Des cartes avaient été étalées sur le bureau, des cartes et des courriers envoyés expressément de Berlin, peut-être même des lettres rédigées de la main du Führer lui-même. Le Front Est demeurait comme l'une des préoccupations les plus urgentes du Reich. Hitler lui-même en perdait le sommeil.

— Quant à vous, Monsieur... Malfoy, sachez que vous n'êtes pas dans l'un de ces bals futiles où vous paradez tels des coqs dans une basse-cour. Le nom de votre père ne vaut rien, vous serez à peine mieux lotis qu'un autre. Je ne veux ni insolence ni refus d'obtempérer, rangez-moi immédiatement ces airs de bourgeois mal appris et comportez-vous en homme, en vrai, si vous souhaitez survivre. Me suis-je bien fait comprendre ?

Draco serrait la mâchoire avec une telle force qu'il craignait que ses molaires ne se déchaussent. Le nom de son père ne le sauverait plus et jamais de toute son existence on n'avait osé lui adresser la parole d'une telle façon. Cet homme, aux cheveux gris et partiellement dégarnis, ne badinait pas et cela fit au jeune homme l'effet d'une douche glacée. De longues secondes s'écoulèrent avant qu'il ne parvienne à répondre :

Cueillir les étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant