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Aux alentours de Strasbourg, 19 août 1940.

Harry recula d'un pas alors que son cœur ratait un battement. L'horreur s'éprenait de lui et, tout à coup, il était incapable de se tirer de cette effroyable vision.

Draco sembla retenir une plainte, un grondement, peut-être même un gémissement. Son œil gauche était tellement gonflé que sa vue se restreignait à son œil encore valide. La douleur, insupportable, l'empêcha de reconnaître ce visage familier. Un maigre soulagement l'étreignit, mais il ne parvint pas à porter cette réflexion à terme.

Soudain, le poing d'un des deux tortionnaires s'abattit contre la mâchoire de l'Allemand. Le choc le projeta contre le dossier en bois et il se laissa choir, sonné. Des étoiles colorées obscurcissaient sa vision et un goût de sang envahit sa bouche. Encore.

Il ne vit pas l'expression horrifiée d'Harry qui tentait, tant bien que mal, de demeurer impassible. La réalité était qu'il en était incapable. Il ressentait une pitié vivace pour cet homme et un désir de le sauver, bien plus fort que tout le reste. Cette loque humaine était un être doué de sentiments et d'humanité, cela ne faisait aucun doute et il refusait de l'abandonner ainsi. Ce fut certainement à cet instant que sa décision s'arrêta. Il ne le laisserait pas périr ainsi !

—C'est bon, j'pense qu'il a eu son compte, dit l'un des deux geôliers.

—Il a rien dit ! C'est qu'un gamin qui s'est fait dessus, il va finir par balancer c'qu'il sait ! On va pas s'arrêter maintenant quand même !

Dean ne perdait pas une miette du spectacle. Le prédateur devenait proie parfois, et il n'y avait rien de plus jouissif que cela. Il ne connaissait guère le soldat Allemand que l'on mettait en pièce. Non, mais il ferait l'objet de la vengeance des opprimés par le régime nazi, le reste était sans importance.

—Justement, c'est qu'un gamin. S'il avait quelque chose à dire, ça ferait longtemps qu'il l'aurait fait.

—On s'en débarrasse alors ? Si on peut rien en tirer, ça sert à rien de le garder en vie, objecta l'un d'entre eux, proche de la quarantaine.

—Non, tempéra le fermier. Faut le rafistoler, il pourrait encore nous servir.

Voyant dans la tournure que prenait la conversation un moyen de les sortir de cette sinistre impasse, Harry intervint :

—Je suis médecin, je peux m'en occuper si vous avez besoin de le remettre en état.

Tous se retournèrent en direction du concerné, jaugeant ce nouveau visage pour estimer s'il pouvait lui confier une tâche aussi primordiale. Le juif déglutit péniblement, conscient que cet instant serait décisif. Il garda l'air déterminé, espérant faire bonne figure et qu'ils ne posent aucune question sur une profession qu'il n'avait jamais véritablement appris sur les bancs d'une école.

—Tu peux t'occuper de lui.

—Il s'est proposé pour soigner les autres prisonniers, ajouta Dean, avec un regard entendu. Après celui-là.

Une once de haine s'était imprégnée de ses dernières paroles. Il jeta un regard de dégoût à la loque humaine qui pendait misérablement contre le dossier de la chaise. Harry se contenta d'opiner pour tout remerciement, tâchant de demeurer neutre et parfaitement détaché, fuyant la vue du corps meurtri de l'Allemand.

Les hommes sortirent un à un, abandonnant le nouveau venu. Dean demeura encore près de la porte, si bien qu'Harry se sentit forcé de préciser :

—Tu peux me laisser seul avec lui. Vu son état, il ne fera rien.

—On ne sait jamais de quoi ils peuvent être capables, riposta l'autre, fermement.

Cueillir les étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant