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Strasbourg, 16 juillet 1943.

Draco venait de traverser une journée des plus harassantes. Il avait jonglé entre les priorités et n'avait pas joui d'un seul instant pour lui. Son bureau, en l'espace de quelques heures, s'était transformé en pagaille et lui qui exécrait le désordre peinait à survivre au sein de cet espace confiné et dans un état déplorable. La montagne de dossier face à lui atteignait une hauteur affolante et il rédigeait des courriers à Munich et partout ailleurs. Il fallait tenir compte de l'incident, dénombrer les blessés et les morts tandis que les informations manquaient à l'appel. Derrière les dégâts que l'attaque nocturne de Churchill avait engendrés se trouvaient toutes les obligations administratives et vitales. Lucius serait peut-être fier de son fils lorsqu'il apprendrait avec quel calme il avait géré l'envergure dramatique de la situation.

En fin d'après-midi, alors qu'il avait renoncé à rentrer profiter du calme serein d'un foyer, il décida de prendre une pause. Oh, bien peu de choses, rien que cinq minutes ! Il avait abandonné les responsabilités qui l'incombaient pour les couloirs blêmes de l'établissement. La fatigue jouait sur sa concentration, sur ses nerfs et sur tout ce qu'un travail comme le sien nécessitait comme aptitudes. La nuit avait été courte et celle qui se présentait se promettait interminable. L'aristocrate allemand maudit tout ce qui lui passa sur la main, la cause de ce trouble comme les victimes qui geignaient depuis l'aube. Il les maudissait tous, autant qu'ils étaient, dans un élan d'égoïsme propre à son épuisement.

Il passa une main sur ses traits froissés de sommeil. Il croisa l'un ou l'autre collègue qui s'écartèrent sur son passage et rejoignit la pièce commune où s'entassait d'ordinaire quelques feignants. La pièce était extraordinairement vide, à l'exception d'un homme de haute taille et à la silhouette aussi fine et longiligne que celle d'un reptile. Alors que Draco, sans lui faire l'honneur d'une parole, s'approcha dans l'objectif évident de se servir un café, l'intrus le coupa dans son élan :

— Eh bah, t'en as une tête !

Sur la défensive, n'appréciant que très peu ce genre de familiarité, le blond n'interrompit pas son geste. Il se servit un café noir, bien qu'il n'appréciait guère le breuvage jugé trop amer par son fin palais.

— Dure journée ? s'entêta l'impertinent, d'une voix enjouée proche de l'insolence.

— Comme pour tout le monde, maugréa Draco.

Cette fois, il coula un regard sur son interlocuteur. Théodore Nott, un type réputé pour son efficacité et pour ses excès de zèle. Rares étaient ceux qui ne le portaient pas dans son cœur et, aux yeux de son collègue, il ne lui inspirait qu'une solide indifférence.

— Pour tout le monde, oui ! Parle un peu pour ceux qui étaient dehors, eux ils en ont vraiment bavé ! J'aurais aimé y être, mais on ne peut pas tout avoir.

Draco haussa les épaules comme pour lui témoigner l'ennui profond que ces paroles éveillaient en lui. Les bavardages inutiles l'incommodaient au plus haut point et lui rappelaient trop Pansy pour lui être totalement indifférent. Il sortit son paquet de cigarettes pour en allumer une d'un mouvement expert. Il tira une première bouffée les yeux clos, savourant le soulagement que lui procurait ce geste.

— Ils sont tombés sur de sacrés numéros là-dehors ! Ceux qui jouent les petits malins en se disant que, vu la situation, on aura d'autres priorités sur les bras et qu'on laisserait couler pour cette fois. Tu parles ! Je leur en aurais donné moi !

Il écoutait d'une oreille distraite le monologue passionné de son homologue. Théodore devait avoir son âge, ou peut-être un ou deux ans de plus. Il était un des plus jeunes au post, un prodige dont on vantait les mérites et l'investissement à tours de bras. Lui bénéficiait aussi de l'appui d'un père berlinois richissime, mais ne déméritait pas. Il n'avait peut-être pas accédé à cet emploi à la sueur de son front, mais se montrait digne du zèle des hauts dignitaires nazis, intimes du Führer. Son visage, malgré la détermination bête et méchante qui l'imprégnait, ne s'était pas entièrement débarrassé des rondeurs juvéniles. Un élément trompeur qu'il valait mieux ne pas prendre au sérieux. Draco s'en doutait à défaut d'en avoir la certitude : ce type ne reculait devant rien, devant aucune bassesse et devant aucun acte répugnant pour parvenir à ses fins !

Cueillir les étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant