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Belfort, 12 octobre 1940.

Draco était attablé dans la cuisine, séparant méthodiquement les morceaux que comptaient sa soupe. À l'exception d'une cuisinière âgée d'une cinquantaine d'années qui ignorait superbement sa présence, occupée à préparer le repas des écoliers avant l'heure de midi, la pièce était déserte. Presque lugubre avec sa peinture décrépie et son ensemble grisâtre, le blond avait décrété dès son arrivée qu'il haïrait cordialement ce lieu.

Tout comme il détestait Ron. Ron qui avait fait irruption peu après son départ de la chambre d'Harry, tout sourire et visiblement détendu. Draco avait croisé sa route alors qu'il rendait visite à son amant, peu avant le souper. Les deux hommes s'étaient considérés avec une animosité évidente alors que le rouquin saluait le rétablissement rapide du juif. Le jeune aristocrate l'avait maudit pour la bêtise de cette remarque et avait quitté prestement la pièce sans une parole pour ce vis-à-vis. Il se souciait peu de l'impression désagréable qu'il avait laissée dans son sillage.

Cette monotonie épuisait Draco. Il avait certes pu apporter son aide à Severus, mais cela ne valait pas une occupation trépidante, un objectif à atteindre ou quoi que ce soit s'y apparentant. Il s'ennuyait une fois encore et seul Harry parvenait à attirer son attention de manière durable. Il semblait être le seul à mériter qu'il s'inquiète pour lui, à l'exception de son cher parrain.

Harry Potter. Si ce garçon lui avait d'abord inspiré un dégoût tout naturel de part son attachement à la France, la religion de sa mère, et son penchant à répondre à tout, toujours, le temps lui avait assuré le contraire. Le médecin dévoué jusqu'à mettre en péril sa propre vie avait fini par lui plaire, aussi improbable ce constat avait-il été. Une découverte qui avait bousculé le blond dans ses certitudes et dans les idéaux inculqués par son père.

Alors qu'il mangeait la nourriture infecte, Draco réalisait qu'il avait laissé cet homme prendre le contrôle de sa vie. Il avait brûlé les documents le concernant à la gendarmerie de Strasbourg, l'avait enjoint de l'accompagner jusqu'ici et lui témoignait bien plus d'importance qu'à n'importe quelle autre personne. Bien-sûr, Harry le méritait amplement. Il avait sauvé sa vie sans hésiter alors qu'ils représentaient presque des ennemis héréditaires. Un sacrifice, ou presque, à l'heure où l'Allemand le traitait à peine comme un être humain. Depuis, en dépit des innombrables disputes, leur relation avait fini par se stabiliser.

Profites-en pour te montrer sincère, il ne sert à rien d'attendre éternellement. Il ne restera pas infiniment à tes côtés.

Draco finit son assiette, avalant les derniers légumes fades et sans goût sans regrets. Il n'avait jamais manqué de quoi que ce soit, mais la guerre lui avait imposé ces repas peu savoureux, si différents de la gastronomie de ses jeunes années à laquelle il était habitué. Les plats concoctés par les cuisiniers du Manoir Malfoy paraissaient bien loin en comparaison, un souvenir exquis. Il ne possédait plus le luxe de savourer ces mets d'exception.

Il était sur le point de se lever pour s'extraire à la vue de la cuisine, peu à son goût, lorsqu'un homme fit irruption dans la pièce. Court sur pattes, il semblait à bout de souffle, la sueur inondant les cheveux collés à son crâne. Draco le reconnut au premier regard : l'incapable employé par Severus. Simple d'esprit, il était bien incapable de jouer les taupes ou de vendre des informations d'une grande valeur. Il balbutia d'ailleurs, planté bêtement en face du jeune aristocrate :

—L-Le directeur voudrait vous voir. C'est... urgent, apparemment.

—Quelle urgence mérite que vous me dérangiez pendant mon repas ? rétorqua Draco, se jouant de l'intelligence limitée de son interlocuteur avec un amusement presque sadique.

Cueillir les étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant