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Schirmeck, 5 mars 1943.

Si Harry devait décrire Schirmeck en un seul mot, il opterait certainement pour celui-ci : Enfer.

Un Enfer conçu pour en être un. Les motivations qui se cachaient derrière ces baraquements, derrière cette organisation minutieuse et perverse typique des membres éminents du parti nazi, n'avaient rien d'un secret. Ici, on brisait les corps jusqu'à atteindre la moelle et le cerveau. On en faisait de la charpie en l'espace de quelques mois d'internement dans le camp. Et puis, on en ressortait, métamorphosé, transfiguré. Un tout autre homme.

Harry avait été pris la main dans le sac par une nuit étoilée et glaciale de la fin du mois de février. La défaite des Allemands à Stalingrad avait porté un coup aux assurances d'Hitler qui ripostait sans relâche. Alors que l'on envoyait des Alsaciens mourir sur le Front Est, le jeune juif multipliait les passages entre le territoire annexé, et la zone occupée. La zone occupée qui, depuis novembre 1942, rassemblait toutes les régions de la France métropolitaine. Une addition d'événements, de pression successive et de courage sans faille, qui mena à l'emprisonnement du médecin.

Pris la main dans le sac, il n'avait même pas tenté de se dédouaner, de se chercher de vaines excuses, d'inventer un prétexte, quoi que ce soit qui lui épargne l'impensable et le sort terrible qui l'attendait. La violence de ce soldat allemand au visage inexpressif l'avait fait taire alors qu'il osait encore proliférer des injures à l'égard du dégoût que lui inspirait l'envahisseur. Cet homme n'avait rien en commun avec un certain aristocrate, mais la haine n'en était pas pour le moins profonde. Harry n'avait pas eu l'occasion de prévenir Hermione de ce fâcheux contretemps. Il avait disparu sans un mot, dans un mutisme éphémère.

Harry se souvenait du voyage en train jusqu'à Schirmeck, de l'angoisse incontrôlable qui nouait son estomac et puis, ce qui avait suivi. Un travail acharné, une fatigue extrême, une faim épouvantable, l'hygiène déplorable. Les maladies, les exécutions sommaires, les cris des prisonniers. Les hurlements de ceux qui ne se pliaient pas suffisamment vite aux ordres aboyés. Les supplications des autres, victimes de l'humeur déplorable d'une des brutes chargés de surveillés les faits et gestes des réfractaires. Les cris, la peur, la faim, le froid. Des jours dictés par les pires travers du genre humain.

Si l'idée de se rebeller, d'affirmer son opposition au cœur même d'un camp destiné à redresser de telles tares, l'avait effleuré, il en avait rapidement abandonné le projet. La faim occupait la moindre de ses pensées lorsque la fatigue lui permettait encore d'aligner une réflexion cohérente avec une autre. Seule importait la survie, la sienne uniquement, les cadavres pouvaient bien combler la cour de leur spectacle impudique, cela n'avait plus la moindre importance ! S'inquiéter pour le sort des autres, s'était se condamner à une mort certaine. Les soldats guettaient du haut des quatre miradors, et, dès lors, toute conduite proprement humaine se voyait vouer à l'échec. La machine à broyer les résistants se révélait d'une remarquable efficacité.

Brimades, tortures physiques et morales, harcèlement et famines. On y endurait tout ce qui était humainement imaginable. Les dures réprimandes endiguaient les révoltes à leur source. Les durées de rétention y étaient variables. Mais, tôt ou tard, les résistances humaines finissaient par s'effondrer et venir à bout des esprits les plus coriaces. Schirmeck avait été conçu dans ce but, et les ordres de Wagner ne concevaient pas l'échec. Quitte à briser les corps dans cette entreprise, aucun ne ressortait identique de l'impressionnant complexe concentrationnaire.

Harry avait intégré ce camp de redressement non comme juif, mais comme indésirable à la nazification de l'Alsace. Draco, sans le savoir, le jour où il avait brûlé le dossier au nom du jeune médecin, avait sauvé sa vie, le préservant d'un sort plus terrible encore. Le geste du blond, au-delà de sa symbolique, avait épargné la mort à son futur amant. Une bien drôle ironie du sort.

Cueillir les étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant