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Munich, 15 août 1943.

Lorsque le coup de feu retentit dans toute l'allée, aux échos épouvantables et au claquement abject, Draco s'apprêta à accueillir la douleur. Une vieille amie, mortelle surtout, car Nott ne manquerait pas son coup, il en était certain. Mais la souffrance ne le faucha pas et, l'espace d'un instant, trop hébété pour réagir, il resta là, immobile, à attendre qu'on le délivre. Rien ne vint. Rien ne vient jamais.

Une plainte s'éleva et Draco ne sut estimer de quel homme elle était issue. Il comprit, en lisant la grimace épouvantable figée sur les traits de Severus, qu'il avait reçu la balle à sa place. L'homme au teint pâle était désormais d'une blancheur extrême, inquiétante et son filleul, sans même jeter un coup d'œil en direction de Nott, se précipita dans sa direction. Severus, qui venait de s'effondrer à genoux sur le sol froid, haleta avant d'interrompre le geste du plus jeune d'une main ferme :

— N-Non, Draco.

— Parrain, il t'a touché !

— Tu t'occuperas de moi plus tard ! siffla Severus, qui ne supportait qu'on puisse s'apitoyer sur son sort, qu'importait la situation.

— Laisse-moi au moins jeter un œil à la blessure !

— Et que feras-tu, dis-moi ? Tu n'es pas médecin, que je sache ! C'est dans ces moments que ce... Potter nous aura été utile !

Draco vit sa résolution s'effriter. Il était sous le choc, incapable de faire preuve d'une réaction rationnelle et efficace. Son impuissance suffisait à terrasser ce qu'il restait de détermination. Il se tenait entre les deux hommes, dans ce règlement de compte qui venait de tourner au massacre.

— Occupe-toi de lui, assure-toi qu'il ne s'en sorte pas !

Jamais Draco n'avait entendu Severus mépriser autant une vie humaine et il ne parvint pas à en émettre le reproche. Il se retourna aussi sèchement, comme son parrain le souhaitait, et sa souffrance s'altéra soudain aux yeux du blond. Il ne voyait plus que son ennemi. Son ennemi et la douceur amère de la vengeance.

Nott était allongé. Le choc de l'impact avait projeté son corps un mètre plus loin et, en un regard, Draco pu évaluer l'état de sa blessure. La chair s'était déchirée à la naissance de l'épaule et du torse, à la jonction des deux, à peine au-dessus du cœur. Si l'organe vital n'avait pas été touché, le jeune homme n'en avait plus que pour quelques minutes à vivre. Moins, si sa proie décidait de rendre son agonie plus pénible, plus s'il décidait de le torturer encore un peu. En cet instant, Draco hésitait sur la technique à apporter, surplombant son maître-chanteur de toute sa taille. Celui-ci se recroquevilla sur le côté dans un mugissement misérable et tenta, de son bras valide, d'atteindre le pistolet que sa chute avait entraîné un peu plus loin.

— Où est-ce que tu crois aller ?

Draco, en deux enjambées, fut à la hauteur de Nott. Sans égard pour la souffrance peinte à même ses traits, pour la sueur qui inondait son corps meurtri, il écrasa ses doigts du bout de son talon. Bloqué dans son élan, le blessé émit un grondement furieux, de l'écume au bord des lèvres. Non content du résultat, Draco écrasa plus fortement les doigts sous son talon et, comme s'il éteignait une cigarette sous sa semelle, il le bougea de droite à gauche, lentement, conscient de la douleur qu'il provoquait. Les doigts craquèrent sous son poids et il peina à ravaler un sourire.

— E-Enfoiré !

— C'est pour tout ce que tu nous as fait, à Harry, à Blaise, à Hermione, à Severus et à moi. C'est pour nous avoir pourris la vie.

Et il répéta son geste la moitié d'une interminable minute, puis il laissa Nott porter à sa poitrine sa main meurtrie. Il allait mourir, certes, mais Draco pouvait encore le faire souffrir s'il le désirait. En cet instant, enivré par la vengeance, il ne demandait que cela.

— Alors... c'est fini les petits airs d'ange, Malfoy ? Ça te fait bander, hein, me voir dans cet état ? Allez... avoue ! Avoue que t'aimes ça !

— Ferme-la !

— Ah nan... Pas déjà ! J'vais crever, j'le sais, alors autant en profiter.

Un sourire marbré de sang. Les dents de Nott en étaient recouvertes et cela conférait à son rictus des allures macabres, terrifiantes. Il avalait ses mots, les syllabes, les fins de phrases, tout ce qui lui coûtait une énergie trop importante. Il préservait ses forces alors que la mort s'avançait, à la fois violente et paisible. Draco le dominait toujours de sa haute taille, le visage tiré par le mépris qu'il nourrissait à l'égard de cette ordure.

— Tu sais, Harry, tu vas pas l'retrouver de sitôt c'est... c'est moi qui te l'dis !

— Je te demande pardon ?

Il venait de s'attirer l'attention entière de Draco en une phrase et Nott s'en félicitait. Même dans un état aussi pitoyable, même à l'article de la mort, il parvenait à maintenir une pression considérable sur l'héritier Malfoy. Une pression et un contrôle dont il jouissait encore, la saveur exaltante dans sa bouche.

— Réponds ! siffla Draco.

— Hé, du calme... T'as tout ton temps ! Moi, en revanche...

— Qu'est-ce que t'as fait de lui ? Réponds !

Un rire étranglé. Cet homme était fou, Draco en avait la preuve définitive, bien qu'il n'en ait pas besoin. Il avait oublié la présence de Severus à quelques pas et l'homme souffrait en silence, la main plaquée sur sa blessure. La balle avait frôlé sa gorge, à la base de son épaule, assez profondément pour que la plaie soit sérieuse. Pourtant, il ne laissa s'échapper aucune plainte, aucun son, il voulait tenir, tenir jusqu'à ce que Nott succombe. Il tenait bon rien que pour le plaisir de voir la mort pâlir ces traits. Oh, c'était puéril, bien sûr, mais il considérait cela comme son paiement. Il acceptait d'endurer cette torture interminable rien que pour offrir à Draco sa vengeance, pour soulager son âme de toute sa rancœur. Il semblait à Severus qu'il avait vécu dans ce but, pour remplir son rôle et sauver la vie d'Harry et Draco.

— Il est parti ! Il est parti, t'entends ?

Un râle. Un râle et une quinte qui arracha à Nott une gerbe de sang. Le nez du blond se retroussa de dégoût, puis d'effroi à mesure qu'il comprenait les conséquences de ce que l'homme avouait, acculé par la mort.

— Ou plutôt, nan ! J'ai fait mon devoir de... bon citoyen du Reich. Tu veux savoir ce que j'ai fait ?

Soudain, Draco n'était plus bien sûr d'en avoir envie. La lâcheté le rattrapait et il craignait trop ce que Nott brûlait de dire pour quémander de la sorte. Ses cheveux d'ordinaire lissés, parfaitement plaqués sur son crâne, retombaient en mèches folles sur son visage. Une pluie de mèches presque blanches. La respiration difficile, il considérait Nott avec un savant mélange de haine, de crainte infime et d'attente.

— Approche, souffla-t-il, de ce sourire repoussant.

Et Draco s'apprêta à lui obéir. La voix de Severus s'éleva, encore puissante, encore pleine de vigueur, dans son dos :

— Ne lui obéis pas, il se joue de toi, Draco !

Mais l'aristocrate allemand ne sut se résoudre à se plier au conseil de son parrain. Il se pencha vers Nott jusqu'à s'accroupir à ses côtés. Ses yeux rendus sombres par la nuit détaillaient les ravages de la souffrance sur le visage de son interlocuteur. Celui-ci, malgré la douleur qui lui retirait toute mesure, se délecta de ce silence interminable avant d'articuler :

— Je l'ai dénoncé il y a des jours, déjà. Je l'ai dénoncé en honnête citoyen du Reich. Tu parles... Ils étaient bien contents de m'en débarrasser !

— Il est mort ? Tu l'as tué ? répliqua Draco, d'une voix vibrante de colère.

— Nan... murmura Nott, accentuant la syllabe jusqu'en créer un écho désagréable. Nan, ou peut-être bien qu'il l'est. J'en sais rien... Les gens comme lui, ils font pas long feu dans les camps.

Cueillir les étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant