Front Est, 22 février 1944.
Draco somnolait. Ses dents claquaient et ils frictionnaient ses pieds l'un contre l'autre dans un geste inconscient. Les températures avoisinaient les moins vingt degrés et cet hiver impitoyable se révélait presque aussi redoutable que les éclats des balles et des bombes. Draco en perdait le sommeil.
L'euphorie de Noël et de cette nouvelle année était depuis bien longtemps retombée et il ne restait que la lassitude morne du quotidien. La guerre en devenait presque un art de vivre. Elle avait toujours été un art bien particulier, celui de mourir et certains en faisaient bien une vocation, alors la folie humaine pouvait bien les conduire jusqu'à pareille extrémité.
Draco avait pu rentrer à Munich quelques jours à la fin du mois de janvier. Il aurait dû savourer cet instant, mais une ombre avait terni le bonheur de quitter les combats, celle qui lui assurait que ce répit était éphémère. Comment profiter véritablement de cette permission lorsqu'elle s'avérait trop courte ? Pansy avait tâché de le divertir, de lui changer les idées. La majorité de ses lettres étaient restées sans réponse, mais elle faisait preuve d'un acharnement redoutable. Draco ne la haïssait plus pour cela, il l'admirait. Il se désolait presque de ne pas savoir combler ses besoins, ses caprices, ses nécessités derrière ses innombrables silences et son désintérêt évident. Il ne se cachait plus. Son père lui avait retiré la seule étincelle de joie de son existence, il n'avait plus aucune raison de prendre part à cette vulgaire comédie. Narcissa le lui avait reproché, tendrement et avec une désolation qui avait crevé le cœur de Draco.
L'aube se faisait paresseuse ce matin et refusait d'étaler ses couleurs pâles sur les extrêmes bordures de l'horizon. Les yeux de Draco s'ouvrirent en grand. Il était étrangement lucide. Pas d'égarement propre au réveil, pas de difficulté à se rattacher au monde des vivants, même les regrets se faisaient timides. Un besoin impérieux balayait le reste et il portait le nom de la sincérité. Puisque le jeune soldat avait le sentiment d'avoir suffisamment perdu de temps, il se redressa sans plus attendre. Ses membres engourdis par le froid grincèrent et il craignit d'éveiller les dizaines de soldat qui dormaient à quelques mètres de là. L'odeur qui régnait était épouvantable et il dut attendre quelques minutes pour la nuit soit chassée par quelques petites lueurs de jour.
Sans perdre un instant de plus, il se vêtit entièrement, chaussa ses bottes épaisses, mais maculées de neige fondue et s'assit sur le bord de sa couche. Il sortit avec précaution un petit carnet presque neuf, à peine plié par quelques manœuvres dénuées de précautions. Il était pourtant un homme soigneux, presque maniaque lorsqu'il s'agissait de pareils détails, mais le désordre de la guerre ne lui laissait aucun recours. Il extirpa une mine de crayon de son sac, presque surpris d'en dénicher une et plaqua le carnet sur son genou pour s'immobiliser au dernier moment, suspendu à quelques centimètres de la feuille vierge. La gorge nouée, la bouche sèche, il hésita. Un instant seulement, car ébruités par le silence qui leur avait imposés si longtemps, Draco libéra ces mots qui s'écoulèrent soudain aisément.
Chère Pansy,
Cette lettre après des mois de silence te semblera sans doute incongrue, incompréhensible ou ridicule, mais ce n'est que maintenant que je trouve le courage de t'adresser ces quelques mots. Je t'ai menti, Pansy, je t'ai menti, trompée, humiliée sans doute aussi. Mon comportement est inexcusable et je crois que j'ai préféré voir en toi l'épouse embarrassante dont je n'ai jamais voulue plutôt que l'amie que tu aurais pu être. Et peut-être aurais-tu pu le devenir, une amie. J'ai renié cette chance, j'ai préféré faire de toi une ennemie, une indésirable et tu as toutes les raisons de m'en vouloir.
Je t'ai trompée, Pansy, car j'en aime un autre. Pas une autre, un autre. Je n'ai jamais eu le courage de l'assumer face à mon père, je n'ai jamais pu le faire devant toi. Tu as épousé le mauvais homme et moi, je n'en sais rien. Le monde dans lequel nous vivons ne permet pas les individus comme moi. Peut-être avais-tu deviné ou refusé de concevoir la vérité, mais je ne supporte plus ce mensonge. Mon père et ma mère savent et cette lettre n'a pas pour but de dicter ta conduite. Tu peux me dénoncer, je l'aurais sans doute mérité. Pas parce que j'aime un homme comme je n'ai jamais aimé quiconque, mais parce que mon attitude envers toi est tout ce qu'il y a de plus honteux. C'est d'ailleurs l'un de mes seuls regrets.
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Cueillir les étoiles
FanfictionLe 1 septembre 1939, le second conflit mondial éclate. Deux idéologies s'opposent et s'affrontent avec pour unique objectif l'anéantissement ennemi. Quelques mois seulement après le début des combats, la France accuse une cuisante défaite. L'Alsace...