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Strasbourg, 18 avril 1943.

Le 2 août 1942, le camp de redressement nazi avait ouvert ses portes à Schirmeck, un village de la vallée alsacienne, niché entre les massifs régionaux.

Dès lors, l'impressionnant complexe n'avait cessé d'accueillir les récalcitrants, des plus forcenés au moins téméraires. La cruauté nazie, en début d'année 1943, tournait à plein régime. Ici, on veillait à brimer les opposants et à briser les esprits comme les corps. C'était un domaine où les dirigeants nazis excellaient. Sans que quiconque ne cherche à s'opposer à leurs pratiques, la terreur régnait dans l'ombre des baraquements.

La rumeur désignant un tel endroit enflait dans la région. Harry savait à quoi s'en tenir, même si personne ne détenait la preuve de son existence. La doctrine nazie et la sévérité du joug maintenu sur l'Alsace lui avaient prouvé, une fois de plus, à quel point l'Homme pouvait se montrer inventif lorsqu'il s'agissait de se détruire. Peu de résidents alsaciens avaient connaissance des rafles opérées par le gouvernement français sous l'ordre d'Hitler. Le jeune médecin comptait parmi cette part écrasante de la population que l'on préservait de la glaçante réalité et que l'on conformait à une germanisation continue. Un processus qui avait transfiguré l'âme de leur région. On défrancifiait à tour de bras jusqu'à éteindre dans la mémoire collective, tout souvenir d'une appartenance au territoire français.

Harry, dès son retour auprès d'Hermione, s'était mis en tête de résister à cette pression effroyable. La botte hitlérienne écrasait peu à peu ce peuple auquel il s'était attaché. Il refusait de se conformer aux ordres odieux des Allemands. La résistance de la première heure, ces actes irréfléchis, spontanés et désorganisés, avait laissé place à la Résistance commandée par De Gaulle depuis l'Angleterre. Alors, il n'avait plus jamais été question d'abandonner le combat !

Le jeune juif avait préparé l'évasion d'autres juifs. Des familles entières qui abandonnaient leur terre natale pour fuir la folie nazie. Des femmes et des enfants, des pères pleurant à chaudes larmes, guidés à travers les forêts sans fin des Vosges. Après une préparation et une minutieuse mise à l'épreuve, Harry avait rejoint ces groupes discrets qui parcouraient les sentiers la nuit afin de mener les pauvres gens hors du territoire annexé, loin de la menace. Des passeurs, voilà comme on les appelait ! Des braves, aussi bien hommes que femmes, qui s'enfonçaient entres les arbres là où même les SS allemands ne sauraient les retrouver.

Malgré les paroles de dissuasion d'Hermione, il n'avait jamais abandonné ce rôle auquel il tenait tant. Le jour, il soignait les corps affaiblis par les restrictions alimentaires, et à la tombée de la nuit, il entraînait les égarés à travers un itinéraire tenu secret. Là, seulement, il avait le sentiment d'être utile. Là seulement, il parvenait à s'oublier au profit d'un saisissant altruisme.

Hermione s'occupait d'héberger ces réfugiés, ces juifs au cœur serré de peine. Elle leur préparait soigneusement un repas, contactait minutieusement l'âme charitable qui les mènerait en lieu sûr une fois la frontière passée. Elle avait même, une fois ou l'autre, accompagné son vieil ami dans ces dangereuses expéditions. Le Français s'absentait souvent deux longues journées, le temps d'effectuer le trajet sans attirer l'attention des Allemands sur leurs déplacements. Durant ce laps de temps, la jeune femme s'occupait de son mieux et venait en aide aux plus démunis. La Résistance se déployait sous toutes ses formes.

La Résistance qui, depuis 1942, ne cessait de prendre de l'ampleur. Une ordonnance de Wagner, en août de cette même année, spécifiait clairement l'incorporation forcée des Alsaciens. Un sort auquel ce peuple opprimé ne saurait se résoudre. Envers et contre les menaces soufflées par l'administration allemande et ses dociles soldats, les mutineries et les actes de rébellion dépassaient les prévisions des Allemands. Parfois, la simple menace d'un séjour au camp de Schirmeck, nomination qui terrorisait les moins téméraires, suffisait. Parfois, lorsque la patience manquait et que les récalcitrants se montraient trop bavards, on les faisait taire pour de bon.

Certains d'entre eux faisaient appel aux réseaux de passeurs pour quitter au plus vite cet ordre auquel il était impossible de se soustraire. Le rôle de ces Résistants s'étendait à sauver la vie de tous ces indésirables, ces réfractaires, ces opposants politiques, ces juifs, ces homosexuels. Les jours les plus sombres de l'Humanité n'épargnaient personne. Pas même les héros en quête d'oubli et de reconnaissance.

Et, derrière l'horreur du quotidien, le martyr de toute une région, rien ne vint contrecarrer la détermination d'Harry. Rien, si ce n'était la machine créée de toute pièce par les fidèles partisans du Führer, l'enfer dirigé par Karl Buck, commandant sadique d'un lieu auquel on survivait changé, auquel on sortait sous les traits d'un autre homme. Un endroit sorti de la terre alsacienne et destiné à ceux qui subissaient de plein fouet l'objet de la folie humaine. Un camp qui marquera l'Histoire régionale et l'esprit de ces milliers de prisonniers privés de leur humanité.

Schirmeck. 


Tout petit chapitre, je m'en excuse, le prochain sera plus conséquent. 

Le camp de Schirmeck est un camp alsacien qui accueillait ceux qui résistaient, il s'agit d'un camp d'internement alsacien qui ouvre ses portes dès juillet 1940, dans des baraquements construits pendant la "drôle de guerre". Le nombre d'internés s'élève à 15 000 avec des durées de rétention très variables. On y subissait la famine, les brimades, harcèlement la torture physique et mentale. Les Alsaciens et les Mosellans récalcitrants y sont redressés de manière très dure. Il ne reste rien du camp aujourd'hui, seulement un Mémorial que j'ai eu la chance de visiter. 

Je vous souhaite une belle semaine, prenez soin de vous par ces fortes chaleurs !

Cueillir les étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant