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Belfort, 25 mars 1944.

Harry se sentit fondre au contact de Draco et alors que celui-ci s'apprêtait à s'écarter, le Français approfondit le baiser. Un baiser presque violent pour répondre aux coups qu'ils s'étaient portés quelques minutes plus tôt. Finalement, Draco planta ses dents dans la lèvre inférieur de son amant, juste assez pour percer la peau et récolter quelques gouttes de sang à sa bouche. Harry s'écarta, le souffle court, puis revint une seconde fois, et une troisième. Les défenses de Draco succombaient, les unes après les autres. Acculé contre le mur, il tremblait comme un enfant, les lèvres et les joues rougies.

— Déshabille-toi, décréta Harry.

— Non.

La patience n'avait jamais une grande vertu chez Harry et pourtant, il réduisit une nouvelle fois la distance qui les séparait et sa main quitta la nuque de Draco pour descendre le long de son cou. Elle traversa sa clavicule, se perdit au détour de son épaule et alors que l'homme se raidissait, conscient du trajet emprunté par Harry, ce dernier bifurqua. Plutôt que de poursuivre le long de l'épaule gauche de son amant, il la contourna pour s'aventurer le long de son ventre. Il n'ouvrit aucun des boutons qui s'alignaient le long de son ventre, il se contenta de les effleurer. Draco se détendit, seconde après seconde et ses yeux se fermèrent à moitié pour apprécier une caresse qui n'avait plus rien d'un danger. Alors Harry remonta le long de ses côtes, le long de sa taille et le contact forma un frisson dans toute l'échine du blond. Le juif absorbait chaque réaction, chaque tressaillement, il lui réapprenait, avec maladresse certes, mais avec une patience qui donnait à chaque caresse toute son importance.

Harry déposa un baiser sur la gorge fine de Draco. Le vêtement l'entravait, mais il avait autre chose en tête et toutes les étapes possédaient leur importance. Sa main s'attarda sous l'aisselle et l'éclat de conscience qui traversa les yeux de l'Allemand lui signala qu'il avait compris. Le soldat savait ce qu'il s'apprêtait à faire, les dents serrées sur un souffle irrégulier. Il resta immobile de longues secondes, jusqu'à ce que les doigts d'Harry ne s'attardent sur la jonction entre son bras et son épaule. Il restait quelques centimètres de chair, un moignon inutile que Draco portait comme un fardeau. Il siffla :

— Non !

— Draco.

Cela sonna comme un avertissement.

— De quoi est-ce que tu as peur ?

Le visage levé, les yeux fous, Draco semblait terrifié. Cette partie de ce corps lui appartenait, il ne pouvait pas s'en débarrasser comme la chair détruite que les médecins avaient dû amputer, au coude d'abord, puis plus haut pour éviter les risques de gangrène. L'os avait été broyé par l'explosion et il n'y avait aucun espoir qu'il se resoude un jour. Peut-être qu'une chirurgie moderne l'aurait permis, mais les médecins militaires soignaient des milliers de soldats et n'en sauvaient qu'un faible pourcentage.

Le froid avait empêché l'infection de se développer, mais le temps que la bataille ne s'achève et que les Allemands rapatrient ses blessés loin du feu des combats, la plupart étaient morts. Il ne restait à Draco lui-même qu'un souffle de vie. Il y avait eu la souffrance du réveil, la morphine dans des doses trop insuffisantes, les médecins qui couraient d'un patient à l'autre et les infirmières qui tâchaient de rassurer les hommes, les traumatisés. Là-bas, sous la tente immense des blessés, Draco avait vu des loques humaines, des visages au milieu desquels il était impossible de discerner les yeux, la bouche, le nez et qui n'étaient guère plus qu'un amas gémissant.

Il y avait ensuite eu le retour à Munich, la peur dévorante et communicative de sa mère, l'incompréhension de Pansy et le recul de Lucius que son fils n'avait su interpréter. Sans doute prenait-il conscient de l'enfer dans lequel il avait plongé son héritier ? Les jours et les jours de convalescence avaient suivi la prise de conscience, amère et presque aussi douloureuse que la souffrance de ses chairs nécrosées. Les médecins lui avaient sauvé la vie, mais n'étaient pas parvenus à sauver son bras gauche. Les éclats d'obus fichés dans sa peau laisseraient aussi des cicatrices que rien ne saurait effacer. Des contusions à n'en plus finir, des nuits d'épouvante, des jours à hurler, le nez enfoui dans l'oreiller. Cette douleur-là, elle lui appartenait, à lui et à personne d'autre. Personne ne pouvait comprendre qu'il le sentait encore, son bras, son bras entier qui le démangeait, qui incendiait sa chair jusqu'à son épaule. Cette douleur était sienne et il n'était pas question de la partager, de l'exposer aux regards de tous.

Cueillir les étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant