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Strasbourg, 17 juillet 1943.

Draco ne sut estimer quelle émotion le dominait en cet instant précis. Partagé entre la répulsion, la colère et l'horreur, il dévisageait celui qui avait osé se dresser en travers de son chemin et qui l'observait en retour, les semelles sales de ses chaussures reposant sur la pile de paperasses s'amassant sur le bureau.

Théodore Nott se moquait ouvertement de lui.

— Bien. Je suis heureux de voir que tu as pris la bonne décision.

— Je n'aurais jamais pensé cela de toi, Nott, cracha le blond, sans rien masquer de son dégoût.

— Et c'est bien ça qui est amusant ! Les gens se fient aux apparences et tu as été dupé par ce que tu croyais. C'était si simple de te piéger, si tu savais !

Un piège... C'était donc bien cela. Un vulgaire piège dans lequel Draco venait bêtement de tomber en se rendant au lieu de rendez-vous. Désormais, le dispositif mortel se refermait sur la proie, sur cette victime innocente, agneau sans tâches qui n'avait pas eu le bon goût de trembler face au loup. Les masques tombaient, les uns après les autres, laissant place à une bien pénible vérité.

— Qu'est-ce que tu leur as fait ?

— Mais rien ! Je ne leur ai rien fait ! Je garde ma monnaie d'échange intacte, si tu veux savoir. À quoi me servirait-elle si je l'abîmais ?

— Tu les as enlevés, ne joue pas l'innocent ! Tu as menacé à Hermione de ton révolver, mais qu'est-ce que tu as dans la tête ? Merde !

— Hermione ? Ah, ce doit être la délicate demoiselle de ce matin... Je l'ai épargnée, qu'est-ce que tu me reproches ? J'ai épargné la demoiselle, c'est que j'ai des manières, moi !

Draco tremblait de tous ses membres. Il se savait en position de faiblesse et maîtrisait ses ardeurs, sachant que les vies d'Harry et de Blaise reposaient sur sa conduite. Les cheveux bruns et lustrés de Théodore brillaient sous l'éclairage de la pièce et il semblait se gausser du fier héritier Malfoy.

— Cesses tes idioties, Nott. Qu'est-ce que tu attends de moi ?

L'intéressé laissa planer un bref silence. Un silence qui lui aurait permis d'asseoir encore davantage son autorité si Draco n'avait pas rétorqué, aigrement :

— Ne me dis pas que tu les as enlevés par simple jeu, que c'est un passe-temps familial. Tu cherches à m'atteindre à travers eux, alors j'exige de savoir ce que tu attends.

— Tu n'exiges rien du tout, Malfoy, le réprimanda Nott, soudain gravement. Tu n'es pas en position d'exiger quoi que ce soit.

Le jeune aristocrate ferma les yeux sur une conduite qu'il considérait comme impardonnable. La vie des deux hommes auxquels il tenait le plus au monde était en jeu et il ne les mettrait pas en danger pour un souci de fierté. Sa soudaine docilité flatta l'ego de son homologue allemand, mais heurta profondément sa dignité.

— Je préfère mieux ça...

— N'en profite pas trop, Nott.

— Oh que si ! Je rêve depuis longtemps de t'avoir sous ma botte, Malfoy. Qui ne rêverait pas, à ma place, d'avoir l'occasion d'humilier le grand héritier d'une des plus grandes fortunes de Munich ? Tu es à ma merci, Malfoy, et je peux tout exiger de toi !

Draco siffla entre ses dents, la folie qu'il lisait dans le regard de celui qui avait été son collègue n'avait rien de rassurant. Une part de lui, la plus indisciplinée, la plus indocile, rêvait te de faire ravaler son impudence à cette vermine et ce, sans plus attendre. Pourtant, la menace qui planait sur des vies autres que la sienne le freinait et il ne pouvait risquer trop gros. Une arme sommeillait pourtant contre son flan, il aurait été si aisé de s'en servir.

— Pose ton arme sur le bureau. J'aurais dû commencer par là, mais je pensais que tu te tiendrais tranquille, ordonna Nott, comme s'il venait de deviner la pensée de son interlocuteur.

Et le blond obéit. L'autre pouvait très bien avoir des complices et il refusait de sacrifier Blaise et Harry de la sorte. Il déposa son révolver à plat sur le bureau, puis recula de deux pas, satisfaisant ainsi la soif de pouvoir de son aîné.

— Mon père en entendra parler, ne te figure pas que tu t'en sortiras à si bon compte, Nott.

— Et que feras-tu ? Allez pleurer chez papa ? Je me suis renseigné, pauvre incapable ! Je sais que celui qui moisit dans ma cave est supposé être mort depuis près de trois ans ! rugit l'interpellé. Et tu comptes appeler ton père... Pour lui dire quoi ? Que tu as joué avec le feu et que tu t'es brûlé ? Qu'on t'a volé tes jouets, une saleté de juif et un nègre supposément mort ? Qu'iras-tu dire à ton puissant papa ? Tu ne lui diras rien du tout !

Draco manqua de reculer face à la rage qui s'évadait de Nott à travers ses paroles. Il réalisa alors à quel point il avait raison. Il était piégé, fait comme un rat. Il ne pourrait espérer l'aide de personne, pas même celle de son père qui lui aurait pourtant été précieuse. Le prestige de son nom et la puissance de sa famille, tout comme la place de choix qu'elle occupait au sein du Reich, tout cela ne lui serait d'aucune utilité. Il transpirait de rage et d'impuissance sous le regard dédaigneux de l'objet de sa déchéance.

— Tu ne m'as toujours pas précisé ce que tu attends de moi exactement.

— À vrai dire, je n'en ai pas encore une idée précise moi-même. Je peux te faire faire n'importe quoi, c'en est... grisant ! J'ai besoin de réfléchir avant de décider de ce que je pourrais faire de toi.

L'attention davantage portée sur la boue qui maculait ses semelles que sur son homologue, Nott s'exprimait d'une voix détachée, presque pensive. Il détenait un tel pouvoir entre ses mains et il en savourait toute l'authenticité.

— J'ai une monnaie d'échange, je peux m'en servir quand bon me semble...

— Tu ne peux pas garder éternellement deux hommes enfermés dans je ne sais quel endroit lugubre ! protesta Draco, avec moins de hargne qu'à l'accoutumée.

— Ah, c'est ce que tu crois ? Tout compte fait, tu as raison ! Je n'aurais qu'à m'en débarrasser lorsqu'ils ne me seront plus utiles. Cette teigne de juif, je suis sûre que l'un des camps de Pologne serait ravi de l'accueillir. Quant au nègre que tu as l'air d'apprécier, le liquider ne me semble pas être bien compliqué. Garde bien ça en tête, Malfoy, au moindre faux pas, je me ferais un plaisir de m'occuper personnellement de leur sort.

— Du chantage, Nott ? Nous ne sommes plus des écoliers qui troquent leur déjeuner !

— Sauf que tu n'as pas ton mot à dire.

Nott sourit. Quel jeu étrange venait de démarrer ? Quelle perversité se cachait derrière les paroles de ce garçon ? Etait-il seulement capable de mettre à exécution toutes ces menaces ? Quelle sorte d'ambition démesurée animait l'Allemand dans cette sombre entreprise ? Il possédait toutes les cartes au creux de sa main et Draco en ignorait encore l'ampleur.

— Et si je décide de ne pas te croire sur parole ? Tu parles beaucoup, Nott, mais qu'en est-il des actes ?

Le sourire qui mangeait le visage de son aîné grandit, s'élargit jusqu'à prendre des proportions inquiétantes.

— Je me doutais que tu finiras par me dire ça, c'est pourquoi j'ai préparé quelque chose qui devrait te convaincre.

Il sortit, de la proche intérieure de sa veste, un écrin que Draco reconnut immédiatement. L'objet appartenait à Harry et contenait une photo rongée par le temps, celle de ses défunts parents. Nott venait de marquer un point supplémentaire et s'en réjouissait comme un enfant au matin de Noël. 

Cueillir les étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant