Prologue

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Il y a des gens qui n'embrassent que des ombres ; ceux-là ne possèdent que l'ombre du bonheur.

William Shakespeare


Lowick, le 12 mars 2175

L'homme passa le pas de la porte.

-Davv ! Attends !

Il se retourna, le cœur lourd. La femme, soulevant ses jupons, se jeta dans ses bras. Elle le serrait du plus fort qu'elle le pouvait, l'amour lui déchirant le cœur.

-Je t'en supplie, ne pars pas.

-Je suis obligé, je n'ai pas le choix et tu le sais. Le Paradis sur lequel je me trouve, à tes côtés, ne peut durer éternellement.

Ils se séparèrent doucement. Leur proximité leur faisait mal, elle leur rappelait sans cesse que cela ne restera pas ainsi, qu'elle serait bientôt remplacée par la cruelle distance. Oui, leur proximité les narguait. Rapprochement si joyeux, n'était ici que fléau désastreux. 

-Eternellement est un bien grand mot pour désigner les quelques jours que tu as passé en notre compagnie.

-Je sais, mais je reviendrai. Je te le promets. Ne suis-je pas revenu la dernière fois que je te l'ai dit ? Ma présence ici en témoigne.

-Je le vois bien, seulement, tu as mis neuf longs mois à pointer le bout de ton nez !

-Mais cela en valait la peine, n'est-ce pas ?

-Bien-sûr.

Elle l'embrassa rapidement, puis reprit la parole.

-Tu as vu notre enfant naître, tu as entendu ses premiers soupires. Mais si tu pars maintenant tu ne verra pas ses premiers pas, ses premiers mots. Tu n'entendras pas le mot « Papa » sortir de sa bouche, jamais. Alors reste.

-Si je reste, c'est la mort assurée. Le Conseil me tuera ou me bannira à tout jamais.

-S'il te bannit, ce n'est pas grave. Tu resteras avec moi, dans ma ville.

-Et s'il décide de m'exécuter ?

-Cela n'arrivera pas, tu sais te battre mieux que quiconque. Tu es général, tu fais parti des meilleurs guerriers. Il ne tuerait pas sa meilleure unité.

-Tu as surement raison ? Mais j'ai aussi une famille qui m'attend là-bas, l'as-tu oublié ?

-Non, bien sûr que non. Mais tu appelles ça une famille ? Une femme que tu n'aimes pas avec qui tu vies depuis je ne sais combien d'années. Tout cela dans une maison que tu dois partager avec d'autres personnes ? Je n'appelle pas ça une famille moi.

-Tu oublies un détail crucial. LE détail crucial pour lequel je veux rentrer.

-Et lequel ?

La femme s'écarta, honteuse et triste, de son amant. Elle le regarda avec de petits yeux bruns.

-Ma fille. Ma douce petite fille, je ne peux pas l'abandonner maintenant, je dois la protéger de toutes ces impuretés de la vie. Je dois lui apprendre à être forte, mais discrète. Je veux pouvoir lui transmettre toutes mes plus grandes passions, toutes mes plus belles expériences, toutes les choses magnifiquement simples de la vie. Oui, tout cela puisque je l'aime énormément.

-Et ton fils, n'a-t-il pas tout autant le droit de connaître ces moments ? De connaître son père ?

-Si, assurément. Mais je ne suis pas capable de choisir.

-Alors laisse-moi au moins te dicter une solution.

Tandis que le guerrier s'assit sur les marches du perron, elle rentra dans la maison. Quelques instants plus tard, elle en ressortit avec dans les bras un enfant enveloppé dans un drap de soie. Elle se positionna alors, avec précaution, assise aux côtés de son amant.

-Rentre chez toi, dis adieu à ta femme, à tes amis, et rejoins-moi avec ta fille. Nous serons une famille unie et soudée. Regarde ton fils.

Davv plongea ses yeux dans les prunelles vertes de sa progéniture. Elles étaient si belles, tout autant que celles de son père me diriez-vous, mais celui-ci affichait une expression sévèrement triste et désolée. L'enfant, aillant ressentit la détresse de son père, commença à pleurer. Et c'est dans ces larmes juvéniles que nos deux amants se séparèrent, après une dernière embrassade.

-Lucely, prends soin de toi.

Ce fut ses derniers mots à son intention, et elle acquiesça, en soufflant un « je t'aime » qui se perdit dans le temps. En partant, l'homme croisa quelques connaissances, mais jamais de la même importance que celle de son amour, Lucely. Dès cet instant, tout ce noya dans la même image. Le ciel ; les rues ; les bruits environnants ; les « bonjours » ; les « adieux » ; les femmes ; les hommes, tout, tout se mélangea pour ne former qu'un seul et même bloc de couleur défraichit.

Jusqu'au petit garçon à l'expression neutre, qui se posta devant lui. Il chuchota une phrase, puis s'enfuit : « Vous avez de la chance d'avoir une dame qui vous aime, ne la gâchez pas comme mon papa ». Ces paroles, plutôt simples en apparence, le firent réfléchir durant un long moment. Ce garçon qui était venu lui parler incita sa curiosité. C'était comme le reflet de son propre fils dans plusieurs années seulement. Oui, dans plusieurs années, la seule chose que connaitra son fils de sa part sera cette phrase, et uniquement celle-là. Il aura tout gâché. Il aura tout perdu. Son amour et son enfant. Non. Il changerait cela. Jamais il ne voudrait que cela ne se produise, il reviendrait. Un jour, le plus tôt possible, il serait de retour dans cette ville, pour sa famille. Il se le promit.

GuerrièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant