56. La pluie s'abat, et l'aube rayonne (part. 2)

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Comme nous, trempé de la tête au pied, je le vois arriver calmement. A sa vue, tous se turent. Je suis heureuse de le voir venir et à la fois une lourde culpabilité encercle la gorge.

En observant mes compagnons, je constate combien Thaym jauge le général du regard.

- J'ai briefé ma section, s'adresse-t-il à moi. Artenthus est considéré comme un traître vous ayant livré des informations essentielles de cette mission. Il ne bougera plus pour un moment. J'ai également spécifié à mes hommes qu'une autre équipe allait se charger de vous, et donc, que même s'ils vous aperçoivent, cela ne sont plus leurs affaires.

J'acquiesce, secouant ma tête. Cela est la première fois que le général s'adresse à moi, les yeux dans les yeux, sans menace. Ce sentiment de reconnaissance est tellement agréable.

- Parfait.

La pluie coule sur mon visage, je n'y prête plus attention.

- Toutefois, ce n'est pas à moi que vous devez certifier votre engagement.

- Bien-sûr, oui.

Maintenant que je le vois, je ne peux nier l'évidence. La ressemblance entre lui et Brion est frappante. Même si je ne me souviens plus des détails du visage du garde, je reconnais en Victhorion sa mâchoire, sa carrure et surtout ses yeux. La forme délicatement dessinée en amande. Le bleu cristallin et pur des iris. Je me demande comment je n'ai pu faire le lien avant. La ville est petite, de telles ressemblances ne peuvent être le fruit du hasard.

Tandis qu'un discours solennel et pourtant naturel s'enclenche, mon regard se perd dans le vague. Je tourne la tête et observe les petits arbres recouvrant cette terre poisseuse. Je les laisse discuter, se convaincre et se comprendre. Et, je pose un pied devant l'autre, m'écartant doucement de leurs paroles. Bientôt, mes pieds rencontrent de la pierre, troquant un sol houleux contre une roche solide. Peu à peu, la vue se dégage. Déjà, je ne peux plus avancer par peur de tomber dans le vide. En effet, une falaise s'étend à mes pieds. Depuis que nous avons quitté la ville, nous avons pris de la hauteur en nous éloignant de plus en plus du niveau de l'océan. Océan qui vient s'écraser contre les lourds rochers en contre-bas. Le déluge semble énerver ce dernier et agite violemment ses vagues l'unes contre l'autre. Mes yeux divaguent sur cette grande étendue d'eau sans fin, recouverte d'un ciel orageux.

Ecoutant dernière moi le dialogue qui s'établit, je me demande si Jonas me pardonnerait. Je me demande ce qu'il penserait de tout cela. Peut-être serait-il en colère ? Ou alors résigné ? Je l'imagine alors, près de moi, regardant cette immensité d'un bleu profond. S'il savait que j'ai ouvert la porte à celui qui l'a tué lui et son âme-sœur, qui l'a traumatisé alors qu'il débutait son service militaire. Celui qui lui a fait tant de mal, l'obligeant à se retrancher derrière de nombreux mensonges. Mon cœur se sert et ma gorge se noue. Je m'en veux. Je sais que c'est la meilleure solution, mais je me sens tellement coupable de le trahir ainsi. J'espère qu'il ne me voit pas de là où il est. Une larme roule sur ma joue, vite emportée par les précipitations. Alors, je me plais à imaginer que là, ses cheveux plaqués par l'orage, il me prend la main dans un geste rassurant.

Une main sur glisse dans la mienne, aussi trempée que mon corps. Surprise, je tourne le regard. Les yeux souriant de Wyden me répondent. Comment fait-il pour sourire autant ? pensé-je sans lui poser la question. Son regard s'est déjà tourné vers l'océan. Alors à mon tour, je me noie dans les terribles remous de cette eau agitée. Quelques rayons lumineux traversent cet amas nuageux. Le soleil se réveille, étirant ses longues lueurs orangées sur son oreiller orageux. Alors, ces vagues ne m'effraient plus, et je me livre pleinement à ce paysage fantastique.

La pluie s'abat.

L'orage gronde.

L'océan virevolte.

Et, l'aube rayonne.

Et, les doigts de celui que j'aime serrent les miens.

GuerrièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant