51. Interlude réfléchie (part. 3)

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Puis, je me redresse et m'écarte. Le vent s'est atténué jusqu'à disparaître. Effaçant un peu le petit sourire qui s'est emparé de ma bouche, je m'approche des deux grandes silhouettes allongées à côtés, près de Shesy. Je les contourne, je ne voudrai pas leur tomber dessus par inadvertance. Je pose un genou au sol et écarte une mèche de cheveux. Avant même de pouvoir observer le visage qui se cachait derrière je sais qu'il ne s'agit pas de Matt. Je le connais par cœur et je sais pertinemment que ce ne sont pas ses cheveux. Pas que ceux-là ne soient pas doux, mais la texture est différente. Ces traits juvéniles et marqués par la vie confirment mon impression. Son visage aurait pu être vraiment magnifique si une grande cicatrice ne lui déchirait pas le visage en deux. Ses longs cils foncés papillonnent. Je ne veux pas le sortir de son sommeil. Je m'écarte de Thaym, contournant sa tête pour accéder à l'autre homme. Celui qui est étendu, sur le dos, entre les deux soldats. Je pose ma main sur son épaule et le secoue légèrement. Proche, les effluves familiers de menthe, de cannelle et d'un bois mouillé par une pluie fine envahissent mes narines. Ma gorge se noue et ses paupières se soulèvent.

Je lis une seconde d'étonnement dans son regard sombre. Ne disant mot, je me mets debout en enfonçant mes orteils dans la terre molle. Je m'écarte, assez loin pour parler sans faire dresser une oreille et assez près pour garder un œil sur eux. Sans un regard, je sais que Matt m'a suivie. Il est à présent à côté de moi. Aucun de nous n'ouvre la bouche, testant la présence de l'autre, son degré d'appréhension vis-à-vis d'une conversation. L'herbe est immobile. Je me suis habituée à la voir danser régulièrement au rythme d'une brise marine, mais, ce soir, elles sont calmes. J'avale ma salive, ne sachant réellement par où commencer ou comment briser la glace. Je sais que Matt attend pourtant que je le fasse. C'est à moi de faire un pas vers lui.

- C'est ton tour de garde.

- J'ai cru comprendre, il acquiesce.

Un silence s'étend.

- Tu ne vas pas dormir ?

Ses yeux se posent doucement sur moi. Je le regarde une seconde avant de continuer mon observation des herbes sauvages me permettant de détourner mon regard.

- Je ne suis pas fatiguée.

Je retiens ma respiration. Puis, la relâche. Je relâche la pression dans mes épaules lorsque je me rends compte que je les avais inconsciemment remontées.

- A vrai dire, si, je suis épuisée.

Ses yeux me guettent discrètement de temps en temps, analysant mon expression. Du coin de l'œil, je le vois se mordiller nerveusement l'intérieur de la joue.

- Je ne sais pas si tu es d'accord pour parler de ce qu'il s'est passé.

Je me retiens de le couper puisque non, je ne le suis pas. Mais, d'un autre côté, je suis bien ici prête à discuter un peu même s'il ne s'agit pas de ce qu'il pense.

- Je suppose que ta présence est déjà un bon début. Cela me tuerait si tu ne m'adressais plus jamais la parole.

- Quelle ironie étant donné que c'est moi que tu devais tuer, je ne peux m'empêcher de râler méchamment.

Matt ravale sa phrase et garde le silence. Je m'en veux. Même s'il le mérite. Un peu.

- Désolée...

Il ne continue pourtant pas ce qu'il avait voulu dire avant que je l'interrompe. Un poids pèse dans ma poitrine.

- Je n'ai jamais consciemment voulu te faire du mal tu sais.

Je n'enfonce pas plus le clou. Les remarques sanglantes ne nous réussissent pas.

- C'était une période différente, de troubles, et je... cela est fou comme en l'espace de quelques jours ils réussissent à nous retourner l'esprit, il soupire honteux.

Il se force pour ne pas baisser son regard, je le vois. Il tente de garder contenance afin de tenir une vraie conversation sans m'influencer en agissant comme une victime. Il ne cherche pas à me faire culpabiliser, bien au contraire.

- Je préférerai qu'on en discute une prochaine fois. Pas maintenant.

Pourtant, je le sentais vraiment bien parti. Non, je nous sentais vraiment bien partis. Cela aurait été le moment parfait. Enfin, cela si jamais le contexte était différent. Si nous n'étions pas guettés par l'aube.

- D'accord. Même si tu n'es pas encore prête à l'entendre, entends juste que je t'aime et que ce que j'ai imaginé faire il y a quelques temps est impardonnable.

Ma gorge se noue. Je refoule une crise de larmes silencieuses en laissant échappé un sourire triste.

- Mais les actes impardonnables sont souvent le quotidien tumultueux des frères et sœurs, tente-il.

J'avale difficilement ma salive, gardant tout à l'intérieur. Toutefois, je sais parfaitement qu'il me connaît si bien que je ne peux même pas lui cacher cela. Je ne suis pas prête à lui pardonner, encore moins à le lui dire. Mais, ma main vient se glisser dans la sienne.



« La vérité m'est aussi chère que la vie. »

William Shakespeare, Macbeth

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