J'achète encore un pot de confiture a un monsieur assez aimable et me dirige vers notre maison. Je profite du soleil qui effleure tendrement ma peau pâle, ses rayons lumineux me réchauffent. J'inspire profondément et traverse une petite rue pavée. Plus je marche vers l'endroit opposé du centre de notre ville, plus l'espace se vide de présence humaine. Je me demande comment ma vie serait si j'étais un garçon. Je ne serai pas obligée de me cacher pour exercer ma passion, je ne serai pas obligée de me soumettre aux autres "naïvement", sauf Le Conseil bien-sûr. Je pourrai arrêter de porter ces robes encombrantes et peu pratiques qui limitent mon agilité, je pourrai partir combattre légalement.
Je me tiens devant le perron, les fenêtres ouvertes laissent passer une bonne odeur de cuisine, me donnant l'eau à la bouche. Je ferme les yeux et gonfle mes poumons au maximum pour sentir ce parfum succulent. Je soulève mes paupières et me m'avance en vitesse à l'intérieur, en ayant hâte de découvrir ce que Matt a préparé. J'ouvre la porte et dépose le panier sur le plan de travail, à la cuisine. Matt se tient debout devant la cuisinière. D'où je me trouve, je ne vois rien. Alors je m'approche de lui, pose mes mains sur ses épaules, et à partir de cet appui je me soulève sur la pointe des pieds pour arriver à voir au-dessus d'une épaule de mon meilleur ami. Quand j'aperçois ce qu'il se trouve devant lui, je souris et me lèche la lèvre supérieure comme une petite fille devant son plat préféré, ce qui le fait rire.
- Alors ? Ça à l'air de te plaire, non ?
- Bien-sûr que oui ! M'indignais-je. J'adore ça et tu le sais très bien !
Il verse le contenu de la poêle dans un saladier se trouvant à notre droite. J'adore ce plat, réellement. C'est des tomates, des aubergines et quelques herbes qui sont mélangés avec des panemettes. J'ai appris il y a seulement un an que les panemettes, ces longs bouts de pâtes cuites à base de farine de maïs, tirent leur nom d'une ancienne langue, que l'on utilise encore pour beaucoup de textes dédiés aux cérémonies. Le mot "panemette" viendrait en fait du mot "panem" désignant le pain. Mais aujourd'hui, nous mangeons peu de pain, puisque le blé se fait de plus en plus rare, donc encore plus cher. Matt me sort de mes réflexions en posant un baiser sur ma joue.
- Je me disais que si je te faisais ton plat préféré j'aurai droit à une récompense.
Il me sourit gentiment.
- Et qu'est-ce que tu t'imaginais avoir ?
- Le droit d'arrêter de faire toutes ces corvées ménagères dont tu m'as si charitablement fait cadeau.
Il affiche une expression si tendre et innocente que l'on pourrait voir une auréole se dessiner au-dessus de sa tête. Je lève les yeux au ciel, je vous jure, il ne peut pas me faire mon plat préféré sans une idée derrière la tête celui là ! Bon, c'est vrai qu'il a été aimable, je lui fais un léger signe de tête montrant que je consens à sa proposition, mais que cela prendra fin uniquement ce soir. Il se met à sautiller de joie autour de moi, puis il me soulève par la taille et tourne sur lui-même. Nous rigolons tous les deux. Il me repose au sol et me fait un gros câlin en me remerciant.
- C'est si horrible que ça pour toi, toutes ces choses ?
- Oh oui !
Je souffle ironiquement, il peut combattre des créatures affreuses et répugnantes, se faire griffer par l'une d'elles et saigner abondamment, mais pour lui, le plus horrible c'est de faire le ménage. Des fois je ne comprends pas vraiment sa logique, mais bon, au moins j'ai fait un heureux !
Il met le couvert et nous passons à table. Nous mangeons tranquillement en discutant de tout et de rien, mais ces petits moments tout simples sont souvent les meilleurs. Plusieurs sujets différents défilent, mais celui où Matt fronce les sourcils, mécontentant, concerne ma sortie au marché en ce début de journée. Je lui ai dit ce que j'ai chuchoté à l'inconnu, sur la grande place, je ne sais pas pourquoi j'ai répondu. Je suis anxieuse. Tous ces hommes qui se sentent supérieurs m'énervent, et là, je n'ai pas pu me retenir d'ouvrir ma bouche. Matt aussi s'inquiète pour moi, mais avec un peu de chance l'inconnu en question ne dira rien, pensant que j'ai seulement fait un seul faux pas, et que je ne mérite pas d'être sévèrement puni à mon âge pour une légère incartade, qui ne se reproduira plus. Oui, avec un peu de chance il ne dira mot, et ne saura jamais que en parallèle de cela je bafoue une dizaine de règles par jour. Parce que si l'Aîné savait que je porte des pantalons, que je me bats, que je suis une guerrière, que j'ai mes marques en formes d'étoiles, que je possèdes mes propres armes de combat, que ce n'est pas obligatoirement moi qui fais toutes les tâches de la maison, que je ne suis pas soumise, que je projette de partir en mission avec Matt, que je fais beaucoup d'entraînement, que je possède une salle spéciale pour cela et que j'entretiens une relation amicale pleine de rires, de blagues et d'amusement avec un homme qui n'est ni mon mari, ni un membre de ma famille, je serai sûrement plus qu'exilée. Je serai pire que reniée. Je ne sais même pas quel sort me réserverait-t-il.
Tandis que Matt débarrasse nos assiettes, les lave et les range, je monte me changer pour pouvoir consacrer tout le temps qu'il me reste, jusqu'à la tombée de la nuit, à m'entraîner. Je descends ensuite les deux escaliers, me menant de ma chambre au sous-sol, quatre à quatre.
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Guerrière
Science Fiction2183, Westen : 2 751 habitants Cela fait maintenant un siècle qu'un virus a contaminé la majeur partie de l'espèce humaine, les mutant en créatures ignobles. Westen, ville entourée d'immenses murs la protégeant, est dirigée par un système sexiste et...