41. Engloutie (part. 2)

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Pas à pas, nous nous approchons du campement de la section. Il y a de l'agitation, un peu trop même. Et alors, ce que je vois me fait plaisir. Plus aucune herbe, naturellement hautes, n'est encore debout. Elles ont toutes été sauvagement écrasées. Et pourquoi cela ? Demandez-le aux cadavres de créatures jonchant le sol. Nous n'avons pas été les seuls à avoir été retardés. En quelques courtes secondes, mes yeux ont déjà repéré un unique binôme d'éclaireurs n'étant pas encore parti. Alors que je le fais remarquer aux autres, Shesy nous fait signe. Le trinôme est en train de s'éloigner. Sans hésiter, je me lance à leur poursuite. Ils sont déjà loin, à moitié cachés par ces feuillages bas mais touffus. Je ne les perdrais pas de vue. Instinctivement, Matt me suit. Je me dis alors, sceptique, que je laisse Shesy surveiller le second binôme. Je me rassure en me rappelant qu'elle sera avec Jonas, et j'ai entièrement confiance en lui.

Le plus important se trouve devant moi. Le bras droit du général. Le trinôme. L'emplacement du remède. Ma clé vers la liberté. Non, notre clé. Le Conseil n'avait sûrement pas assez de guerriers pour se permettre de commencer à nous traquer maintenant, entre la mission Ew York et son conflit avec Lowick. Mais après cela, cela deviendra sans trêve.

Je suis plus déterminée que jamais à ne pas les quitter des yeux. Mes foulées s'enchaînent sans soucis. Alors que mes pieds caressent le sol silencieusement, choisissant pertinemment chaque motte de terre sur laquelle je m'appuie, des herbes s'écrasent sur mes genoux. Aucun bruit n'émane des pas de Matt, mais je peux sentir sa présence à moins de deux mètres de moi. Il est là. Mes doigts viennent presser une boursouflure à l'intérieur de ma paume gauche : ma plus belle cicatrise. Tha se akolouthiso. Il me suit, en effet.

Peu à peu, avancer silencieusement devient compliqué. Il y a de plus en plus d'eau. J'ai l'impression que nous nous dirigeons bel et bien vers l'océan. Mes chaussures sont maintenant recouvertes de boue. Nous n'avons pas le choix, il faut un peu ralentir pour ne pas qu'ils nous entendent. L'horizon semble se dégager, triant de plus en plus d'arbustes jusqu'à ne garder que des herbes envahissantes de plus d'un mètre. Je cours, suivie de près par Matt, dans le sillon laissé par notre trinôme. Troublée, je nous vois nous approcher d'étranges arbres. Seulement, en avançant je me rends compte qu'il ne s'agit pas d'arbres, ni de végétaux, ni de toute autre forme de vie. D'immense barreaux de fer sortent du sol ça et là, éclairés par la seule lumière de la lune. Je m'arrête net.

Il n'y a plus aucune herbe par ici. Le sol est ravagé, labouré, c'est un amas de ferrailles rouillées et d'une sorte de grosse pâte noire. Cependant, cette braye n'a rien avoir avec une quelconque boue terreuse. C'est tout autre chose par ici. Des gigantesques dalles de bétons barrent férocement ce qui pouvait s'apparenter à une route, créant un paysage désastreusement abstrait. D'impitoyables grilles ferroviaires émergent de la terre, manquant de nous attraper les chevilles. Cette ville ne ressemble en rien à ce que j'avais pu m'imaginer. Il a dû s'en passer des horreurs par ici...

- Viens, m'ordonne Matt avec force.

Je lui suis à la trace, épiant chaque millimètre de ce décor inédit pour mes yeux. Nous ne tardons pas à tourner dans une nouvelle direction. Seulement, en face de moi je vois le sol disparaître peu à peu sous des litres d'eau. Je ne vois plus le trinôme d'éclaireurs, je n'ai pas prêté attention à où ils sont passés. J'étais trop absorbée par le paysage. L'envie de me gifler est monumentale, mais je préfère rassembler toute ma force pour me concentrer sur chacun de nos pas. Nous grimpons sur un mur, renversé à la diagonale depuis certainement des dizaines d'années. C'est alors que je vois l'ampleur des possibilités. Nous pouvons escalader, sauter, courir sur ses anciens immeubles. Il y a un monde englouti, mais aussi un monde immergé. Seulement, la prudence doit être prédominante. Il n'y a plus d'arbres pour nous cacher, seulement des macro-débris tombé aléatoirement sur cette feue ville.

Un cri guttural reconnaissable tranche l'atmosphère. Il doit y avoir de nombreuses créatures ici, cachées la journée, à l'abris du soleil, dans chaque bâtiment. Seulement la nuit n'est pas encore prête de se lever.

Je distingue trois hommes au loin, ce sont les nôtre. Je me glisse derrière un mur de fer avant qu'ils n'aient l'occasion de nous apercevoir. Une fois au sol, je jette un œil. Ils rentrent dans le bâtiment d'en face par une de ses fenêtres – maintenant cassée grâce au pied d'un éclaireur. Je ne peux plus les voir maintenant. Il ne reste plus qu'à attendre. Alors, mes pensées se perdent et mon regard plonge dans cette ancienne activité mondaine dorénavant engloutie par les flots.

Une vitre se brise. Ce bruit cristallin insupportable crisse dans mes tympans, effaçant le doux son du clapotis de l'eau. Je me penche afin d'entrevoir l'origine de cette cassure. Quelques éclats de verre tournoient et scintillent angéliquement au clair de lune avant de venir se glisser dans cette eau ténébreuse. Mes yeux survolent l'infrastructure jusqu'à trouver la fenêtre victime de cette perte. Malgré la pleine lune, je ne perçois aucune différence entre toutes ces ouvertures, qu'elles soient vitrées ou non. Jusqu'à ce que je voie un corps se jeter d'une d'elle. Ou plutôt être jeté.

GuerrièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant