22. Conscient

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Souvent les caractères indécis et flottants creusent, s'enfoncent plus avant dans un projet, par l'effet même de leur crainte et le poids de leur indolence

William Shakespeare, La Tempête.


Cette fois-ci, je ne reste pas plus longtemps que les autres élèves en classe. Cet après-midi, je n'étais concentrée plus que sur une chose : la sonnerie. Je me languis de retrouver Matt. Je range rapidement mes affaires dans le casier de mon bureau, et je file. Aujourd'hui le ciel est plus nuageux qu'hier. J'espère qu'il ne va pas pleuvoir demain.

Je me presse dans les rues fleuries. Encore quelques pas. Je grimpe les marches en flèches.

Une fois devant la porte numéro 248. Je frappe à la porte et une voix m'autorise à entrer. Je m'approche doucement. L'infirmier m'ayant répondu me salue.

- J'ai changé son bandage, et ne fais pas trop de bruit, il est encore très sensible.

Je le remercie et vais ma place habituelle. Ses yeux sont fermés. J'ai tellement envie de le réveiller, de m'assurer qu'il va mieux. Mais je me retiens de parler. A la place je décale un peu le drap qui recouvre sa main, sur le bord du lit. Je prends lentement sa main molle dans le creux de mes paumes. Je le regarde.

Et j'attends. Je retiens mon souffle, attendant une réaction.

15 secondes. Je relâche ma respiration.

30 secondes. Aucun mouvement.

1 minute.

5 minutes.

15 minutes. Un faible frisson parcoure sa joue.

20 minutes. Mais rien d'autres.

25 minutes.

30 minutes.

35 minutes.

40 minutes.

45 minutes. S'il te plaît.

50 minutes.

55 minutes.

1 heure. Je t'en prie.

1 heure et 5 minutes.

1 heure et 10 minutes.

1 heure et 15 minutes.

1 heure et 20 minutes. Peut-être qu'il ne s'éveillera pas aujourd'hui.

1 heure et 25 minutes.

1 heure et 30 minutes.

1 heure et 35 minutes. Je souffle.

Je ne pense pas que je verrai la couleur de ses yeux aujourd'hui.

1 heure et 37 minutes. Je lâche sa main sur le matelas. Elle rebondit légèrement. Je me lève. Peut-être demain. Je m'avance vers la porte. Je me tourne une dernière fois vers Matt. 20 secondes. Rien.

Alors que j'ouvre la porte, je suis déçue. J'avais pensé que peut-être le fait de laisser tomber sa main comme ceci le sortirait de son monde. Mais non. Je me fige. J'ai cru entendre un froissement de draps. Je fais un demi-tour vers mon ami. Ses paupières sont toujours closes. Je m'avance rapidement de lui.

Je m'assieds et le fixe. Sa bouche bouge dans un mouvement imperceptible. Je crois l'avoir rêvé à force de le vouloir.

- Tu m'entends ? je prononce égoïstement dans le but de le réveiller.

Si il a réellement esquissé un geste, je ne veux pas le laisser replonger dans rêveries intérieures. Un petit gémissement s'échappe de ses lèvres et je fais un effort surhumain pour ne pas sauter partout. Je me mords la lèvre inférieure. Ça y est. Il reprend conscience. Je patiente un peu et bientôt ses paupières frémissent. Je pose mes coudes sur le matelas. Ses yeux papillonnent et ont du mal à s'ouvrir totalement sûrement à cause de la luminosité et de leur sensation ankylosée. Je me dirige en vitesse à la fenêtre pour baisse les stores.

Matt met quelques minutes à sortir engourdissement. Ses yeux bruns dévient doucement vers moi. Ils n'ont pas leur éclat habituel. Je sourie.

- Salut, je murmure.

Des larmes me brouillent la vue. Ma gorge se noue. J'ai tellement envie de le prendre dans mes bras, mais je ne veux pas lui faire mal. Un charabia incompréhensible sort de sa bouche que j'interprète comme un salut. Ma bouche s'ouvre et se ferme. Je ne sais pas quoi dire. Matt lève ses mains vers moi en tentant de s'asseoir mais retombe contre son lit dans une grimace.

- Ne bouge pas d'accord, il ne faudrait pas que tu réouvres ta plaie.

Son visage se crispe à ma phrase et je pose ma main sur celui-ci.

- Je suis désolé, baragouine-t-il.

- Tu n'as pas à l'être, tu n'as rien fait.

- Justement.

Ses quelques mots sont entre-coupés. Quelques larmes perlent sur mes joues. Mon ventre me fait des siennes.

- Qu'est-ce qu'il y a ?

Tandis qu'il bafouille, je secoue la tête.

- Je suis heureuse c'est tout.

Son regard est triste et je ne sais pourquoi cela me fend le cœur. Pourquoi est-il triste ? Il devrait être heureux comme je suis heureuse. Sans plus y tenir, j'enserre lentement son cou de mes bras et pose ma tête sur le haut de son torse faisant attention à ne pas toucher un endroit qui pourrait lui faire mal. Par spasme il remonte sur bras sur mon dos et laisse tomber sa tête contre la mienne. Je sens son souffle chaud dans mes cheveux. Je ne voudrais jamais me relever. Le sentir là, vivant, chaud contre moi est la plus belle chose qui me soit arrivée ces derniers temps. C'est horrible le fait qu'il faille des événements aussi affreux que celui-ci pour qu'on prenne conscience de la valeur de la présence de quelqu'un. Ne jamais la considérer comme acquise.

Me sortant de ce moment de réconfort, la porte s'ouvre. Doucement, je me redresse sans bousculer Matt. Gabany note quelque chose sur son calepin.

- Je vois qu'on est de nouveau réveillé. Tu penses que cette fois-ci tu vas replonger dans l'inconscience ou que t'es avec nous pour de bon ? Moi je pense que tu y es presque, il relève ses yeux vers nous. Bon et bien, nous allons voir si tu vas bien.

Il prend une fiole où se trouve un bâtonnet bleu. Il le place sous l'aisselle de Matt. Il prend alors son poignet et appuie avec ses deux pouces sur des endroits particuliers. Son regard est levé, semblant en plaine réflexion. Gabany lui demande de lever son autre bras et de le garder à une vingtaine de centimètres du lit. Il continue de tâter son poignet. Ses lèvres articulent des murmures. Le patient repose son membre sous les instructions du médecin. Celui-ci garde encore un peu son bras, hoche la tête le repose contre le matelas et enlève la fiole. Le bâtonnet bleu s'est agrandit.

- Bon, et bien tu n'as presque plus de fièvre. Quand tu es au repos ton pouls est normal, par contre dès que tu forces un tout petit peu il s'affole et peine à se calmer. Ce qui veut dire : repos et pas d'effort, comme parler plus de quelques phrases, vouloir bouger, et cetera.

- D'accord.

- Sinon nous sommes heureux de t'avoir parmi nous ce... (Il regarde son calepin) ... dix décembre, il lui sourit.

Soudain, Matt se penche en avant en sursaut, le faisant s'asseoir.

- Quoi ?! s'exclame-t-il dans un hurlement de douleur.

Plus rapidement que moi, Gabany réagit et le plaque contre le lit.

- Toi tu n'as pas écouté ce que je t'ai dit, petit rebelle.

Matt se mord la lèvre en contenant certainement ses spasmes de douleur. Une fois sûr qu'il ne refera pas la même chose, Gabany le lâche et disparaît quelques instants pour appeler une infirmière.

- Mais qu'est-ce qu'il t'a pris ! Tu veux que ta plaie se déchire c'est ça ? Tu veux être à nouveau inconscient durant plusieurs jours ou semaines ? je m'exclame hors de moi sur le coup de la peur. Hein ?

Je n'en peux plus. Mon cœur bat la chamade. Si ses points de sutures se sont arrachés je crois que je pourrais bien le haïr pour un petit moment. Matt a les yeux écarquillés. Il regarde un partout comme paniqué.

- Calme-toi et dis-moi ce qu'il y a.

Moi-même j'essaie d'adoucir lapeur qui me noue les tripes. Gabany revient.

GuerrièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant