13. Prise au Dépourvu (part. 2)

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Je patiente. Il faut attendre que la pâte verdâtre pénètre profondément la plaie pour commencer à bouger de nouveau l'endroit en question. Nous sommes en plein après-midi et la nuit ne tombera que dans de longues heures. Cependant, je réfléchis déjà à l'endroit où je pourrais dormir. Un arbre ? Oui, je pense que c'était une bonne idée, je vais refaire pareil. Cela est un endroit sûr et sans éléments indésirables. Enfin, sauf si je glisse d'une branche durant mon sommeil. Tomber de cinq étages, ça fait si mal que ce qu'on raconte ? Je ne préfère pas imaginer...

Je devrais penser à ce que je pourrai avaler demain matin, mais avec l'odeur putride que dégage la carcasse derrière moi, il est compliqué d'avoir faim. Durant un instant, la possibilité de faire cuir la créature me traverse. Un relent de dégoût prend possession de ma gorge. Mauvaise idée. De plus, je n'ai rien pour faire du feu. Non, il faut que j'écarte le cadavre pour ne pas attirer l'attention. "Et surtout pour éviter de vomir" je pense.

Je place ma main gauche sur les galets et me lève. Je m'approche de la créature.

- Qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire de toi ? je grimace.

Je pourrais peut-être le traîner jusqu'au ravin ? Non, cela est trop loin et prendrait trop de temps. Ou alors je change d'endroit en le laissant là. Je souffle. Je ne sais pas. Je pivote sur moi-même, cherchant une solution cachée dans les feuillages. Mon regard se pose sur la rivière. Et si ..? Un sourire vient éclairer mon visage. Un corps flottant à la surface, cela fait réfléchir ? Evidemment. Soit, deux conséquences possibles. Premièrement, une personne exilée ou solitaire pourrait venir vers moi et me tenir compagnie. Deuxièmement, envoyer du sang purulent et un corps en décomposition dans la rivière de Westen serait une vengeance pour moi.

Après avoir réalisé cela, je ne réfléchis pas une seconde de plus et empoigne un bras ballant. Je tire de toutes mes forces ce bout de chair sur la rive. Je ne pensais pas une créature aussi lourde. Je me retiens d'utiliser mon bras endommagé pour terminer cette tâche. Je ne voudrais pas aggraver la chose. Je lâche la prise que j'avais pour souffler. J'y suis presque. Sa gueule ne se situe plus qu'à quelques pas de l'eau. Pour en finir, je décide de le pousser. Je ne veux pas toucher l'eau.

Je prends une grande inspiration. La texture du corps est plus que répugnante, gluante à certains endroits. Je n'aurai qu'à me laver les mains par la suite. Je me baisse et pousse son derrière à l'aide de mon épaule. J'essaie tant bien que mal de ne pas penser à cela et enfonce mes talons dans les graviers. Je donne les dernières impulsions et la créature commence à s'immerger. Je me redresse. Une bonne chose de faite. Je plonge mes mains dans l'eau, un peu plus haut et les frottes entre elles. Tout va bien, cela s'enlève facilement.

Je suis redressée, en appui sur mes deux jambes, et je regarde le corps inerte de la créature à la surface de l'eau. Le sang sortant de ses plaies se mélange au courant. C'est moi qui ai fait cela.

En pensant ces mots, je ne ressens aucune émotion, ni culpabilité ni fierté. Je suis juste vide et je ne sais comment réagir. Qu'aurait fait Matt à ma place ? Comment son premier meurtre - oui car cela en est un - s'est-il déroulé ? A vrai dire, je ne lui ai jamais posé la question. Mon père me racontait souvent son premier combat. Certainement que Matt ne voulait pas refaire pareil au risque que de mauvais souvenirs me reviennent. Il me manque.

Je baisse la tête m'assieds sur la berge. J'observe les vaguelettes de la rivière pensivement. Cette journée a été mouvementée jusqu'à présent, et je ne sais pas vraiment quoi faire. Est-ce que je dois marcher à la recherche de quelqu'un ou quelque chose ? ou alors il est mieux que je reste ici à attendre qu'un événement ne se produise ? L'existence d'autres villes me paraît assez surréaliste. Etant une femme, personne n'avait jugé bon de m'apprendre la cartographie des alentours. Mon père ne m'en a jamais fait part.

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