29. Cette Nuit (part. 3)

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J'ai l'impression que je suis entourée de murs et que des crevasses s'enfoncent tout autour de mes pieds. Et je me demande si je bouge, vais-je tomber d'une falaise invisible ou vais-je me cogner à un mur. C'est comme cela que je me mets à tendre les bras devant moi. J'appelle Wyden. Il ne répond pas. Si il est parti, ce n'est vraiment pas drôle. Tout m'oppresse. J'essaie de me calmer, de me dire que le lieu qui m'entoure reste le même. Mais j'ai l'impression de tomber dès que j'avance. Alors que j'allais enlever ce fichu out de tissu, des mains se posent sur mes bras tendus à l'horizontal. Ses paumes sont chaudes. Elles viennent baisser mes bras. Puis les plier. Poings à hauteur du visage.

-        Détends-toi.

-        Facile à dire.

-        Chute.

Je soupire. Je tente, comme il m'a dit, de me concentrer sur mes autres sens. Je tente de l'imaginer devant moi. Je tente de sentir les courants d'air sur mes bras et mes jambes nus. Je tente de faire taire l'alerte dans ma tête me signalant que je dois ouvrir les yeux.

-        Tout ne réside pas dans la vue. Nous n'avons pas qu'un sens.

J'acquiesce. J'espace mes pieds en me rappelant la souplesse et l'équilibre. Soudain, il me frappe dans les côtes. Je m'apprête à crier au scandale alors qu'il ne m'a pas dit qu'on commencer. Mais je ne fais rien, parce que j'ai fait la même chose la dernière fois. Et puis cela ne changera rien. Je me concentre plutôt. J'entends les graviers craquer sous ses pieds. Connaissant sa position, j'envoie ma jambe vers les siennes. Je le sens bouger. Il m'a évitée.

-        Trop lente. Sois sûre de toi.

J'essaie une deuxième fois mais il n'est plus au même endroit. Je me demande comment il a fait pour se déplacer sans que je ne l'entende. Puis je me dis que ce n'est pas lui qui a été discret mais moi qui n'aie pas été assez attentive. Quelque chose attire mon attention, mais je ne saurai dire ce que c'est. Je me prends un poing dans le ventre. Et bien maintenant je le sais. J'ai soudain l'impression qu'il va m'attaquer par la gauche. Je me baisse. Cependant je ne sens rien passer au-dessus de moi. Un pied me fauche les jambes. Je me rattrape grâce à mes mains. Je roule pour ne pas me faire mal et me redresse. Je ne sais plus dans quelle position je suis. Je commence à paniquer mais je fais taire cette partie de moi. Je l'entends respirer. Je me tourne et envoie mon poing dans son torse. Touché. Je souris. Puis je prends un coup dans l'épaule. Ne pas se réjouir trop tôt Tery. J'inspire profondément et me concentre. Je sens un déplacement d'air. Je me décale. Son poing touche le haut de ma hanche. Je n'ai pas assez bougé.

Les distances sont totalement différentes sans la vue. Essayez. Il faut mettre de côté les repères visuels et chercher avec son corps. Apprendre combien nous avons parcouru seulement avec la connaissance de nos mouvements. Savoir la place que prend notre corps et celle que nous gagnons grâce à nos muscles.

-        Voilà, tu as compris le principe.

Wyden me retire le bandeau en faisant attention à mes cheveux. Lorsque j'ouvre mes yeux j'ai l'impression que le monde s'était mis en pause durant tout ce temps.

-        Mais, tu étais ridicule, rigole-t-il.

Je le frappe à l'épaule ce qui le fait basculer momentanément sur un pied. N'importe quoi. Quand je regarde la pendule qu'il apporte à chaque fois, elle m'indique que cela fait déjà une heure que nous sommes ici.

Après un entraînement intensif, je me retrouve une fois de plus au sol. Je reprends un peu mon souffle avant d'accepter sa main. Je me redresse. Je ne sais pas si je peux lui faire confiance. J'espère. Peut-être qu'il se pose la même question de son côté, qui sait ? Dans tous les cas, je ne suis ici que pour peu de temps. Et je veux en savoir un peu plus sur cette ville et sa dirigeante. Je me demande si elle est réellement de notre côté ou si c'est seulement ce qu'elle veut que je croie.

-        Qu'est-ce que tu penses de Lesly ?

A ma question il se fige. Je l'ai pris de court et c'est normal. Peut-être qu'après tout cette ville n'est pas si détendue que cela.

-        Tu souhaites vraiment parler de ça ?

Je ne lui réponds pas et le regarde, entendue. Si je ne voulais pas en parler, je n'aurai pas posé la question et il le comprends. Il prend une inspiration et regarde autour de lui. Il passe la main dans ses cheveux qui lui tombent devant les yeux. Puis il me fait signe de le suivre.

-        Suis-moi, ici les murs ont des oreilles.

Je n'ai pas besoin de plus d'explications. Je sais très bien ce que c'est de ne pas savoir si quelqu'un écoute ou non. Mieux vaut faire dans la prudence. Cela ne coûte rien mais rapporte souvent. Je soupire, avec un pincement au cœur. Même dans une ville qui paraît si sereine, si parfaite, on ne peut faire confiance à tout le monde. Moi qui pensais avoir fuis définitivement ce genre de choses. Où toute parole est susceptible d'être rapportée. La différence entre ici est Westen réside sûrement dans la tolérance de la parole, moins stricte ici. Du moins à ce que je pense.

Je le suis alors qu'il s'approche d'une extrémité du stade. Nous passons au-dessus d'un grillage. Derrière quelques plantes apparaît le mur. Une petite tour repose sur cette partie du mur, une tour de guet. Il s'approche. J'espère qu'il ne va pas m'amener Dehors juste pour parler. Il me fait signe de m'arrêter là. Je le fais. Du moins jusqu'à ce qu'il rentre dans la structure en pierre par une porte. Je m'avance. Je me colle à la paroi rocheuse.

Je l'entends monter des marches. Il ressort dans la tourelle. Des bribes de conversations me parviennent. Même en tendant l'oreille je n'entends pas tout. Je décide de monter à mon tour.

-        ... Mais ton tour n'est que dans deux semaines.

-        J'aimerai bien rester dormir dans mon lit, crois-moi, mais c'est pas moi qui décide.

-        Il change toujours d'avis, c'est chiant.

J'entends le soldat à qui il parlait descendre l'escalier. Il ne faut pas que je reste là.

GuerrièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant