Guerrière

30. Lesly

Aucun héritage n'est aussi riche que celui de l'honnêteté.

William Shakespeare, Le Roi Lear.

           

Lorsque j'entends le réveil sonner, je grogne. Je me lève pour l'éteindre et tire les rideaux. Matt ouvre les yeux, encore allongé dans le lit. J'enfile rapidement ma tenue de soldat et m'avance vers Matt pour tirer le drap qu'il maintient sur sa tête.

-        Il faut que tu te lèves, tu as rendez-vous avec la dirigeante ce matin.

-        Je sais... râle-t-il.

Je me dirige vers la salle d'eau où je me démêle les cheveux. Ils ont poussé depuis que nous sommes partis de Westen, il va bientôt falloir que je les coupe. Je les attache, comme à l'habitude. Après m'être aspergée le visage d'eau fraîche, je descends petit-déjeuner. Je retrouve Jonas et Faeny autour de la table. Quand Faeny me parle, je ne peux pas m'empêcher d'être ailleurs. Je repense encore à ce que m'a dit Wyden, cette nuit. Je ne connais pas toute l'histoire. Je ne connais que les rumeurs. J'ai besoin d'en savoir plus. Les gens évitent de parler de ça. Ce n'est pas pour ma curiosité, c'est pour notre sécurité. Je ne veux pas que Matt aille la voir, seul. Je n'ai aucune confiance. Et je ne sais pas si le fait qu'elle est été nominée à la place de l'héritier légitime soit une bonne ou une mauvaise preuve. J'aimerai demander à Faeny, mais je ne veux pas qu'elle en parle autour d'elle, ni qu'elle éveille des soupçons. Je ne veux pas qu'il arrive quelque chose à cette famille par ma faute. Gabany est plus discret, je passerai le voir.

Mais je peux tout de même avoir quelques informations de la part de Faeny.

-        Parle-moi un peu de cette ville, ta ville. Je ne la connais pas vraiment au final malgré tous les potins que tu peux me raconter.

Je m'appuie sur la table, le menton reposé sur mes mains. Je dois avoir l'air d'une petite fille qui attend qu'on lui raconte une histoire. Je sentais un peu de réticence, mais elle s'évapore lorsqu'elle voit ma tête.

-        Tu as dû apprendre ce qu'était la Nouvelle Ere à l'école ? je hoche la tête à sa question avant qu'elle ne continue. Tu sais qu'un groupe de survivants avait fini par constituer un véritable royaume. Nous ne savons pas pourquoi, mais une révolution éclata et ce fut le début de la fin de ce Royaume parfait. Dans ce bain de sang, le roi d'époque fut tué. De ce massacre, les deux princes, frères mais en perpétuel conflit depuis leur naissance, séparèrent en deux branches la famille royale. L'Aîné, de 20 ans, parcouru plusieurs kilomètres avec sa femme. Enfin, ils s'installèrent dans une auberge de chasseurs qui subissait des attaques récurrentes. Il n'y avait que quelques maisons aux alentours, qui n'aurait pu annoncer la ville qui était sur le point d'être fondée.  C'est lui qui sauva les habitants et qui fit de Lowick ce qu'elle est aujourd'hui. Il a donné une protection, une identité et une valeur à cette ville. Je l'ai connu. C'était un homme et un dirigeant fabuleux. Il était toujours à l'écoute de ses habitants. Il est mort de vieillesse il y a dix-huit ans, déjà.

Faeny semble perdue dans ses pensées, ailleurs, dans le passé. Je colle petit à petit les morceaux entre les différentes histoires. C'est donc l'héritier du Nouveau Royaume qui a fondé Lowick. C'est aussi lui qui a donc dû nommer Lesly. Mais pourquoi elle et pas son fils ? Je ne poserai pas cette question à Faeny. Elle m'en a assez dit, mais pas suffisamment pour se faire remarquer. Tout ce que je cherche.

Des bruits de pas me font tourner la tête. Je vois Matt descendre l'escalier, tout habillé mais encore avec les cheveux en pétard. Cette vision me fait sourire. C'est bien de connaître le passé, mais il ne faut pas en oublier le présent. Je finis de manger en vitesse. Je dépose un baiser sur la joue de Matt pour lui souhaiter bonne chance puis je suis Jonas, à l'extérieur. Nous entamons notre marche quotidienne.

-        Ça fait bizarre de se dire que tout ça a été imaginé et construit par un seul homme, s'exclame Jonas en levant les bras vers les façades.

-        Construit, peut-être pas, d'autres ont dû l'aider à porter les pierres, mais en effet, cela est assez dingue.

-        Ne joue pas sur les mots ! s'offusque faussement Jonas.

Je ne dis rien et marche près de lui, la veste sous le bras. Il fait chaud. Cela va être ma dernière matinée d'entraînement avec Wyden.

J'ai attendu la fin de la matinée avec impatience pour deux raisons. J'ai l'intension d'aller voir Gabany à ce moment-là. Et je vais savoir ce que Lesly a dit à Matt. Je me dépêche de quitter mon co-équipier pour me diriger vers l'hôpital avant que Jonas ne sorte de la Caserne. Il ne doit pas être au courant. Je marche rapidement, mais avec un grand sourire. Non pas que je suis contente, mais je ne veux pas que les passants se demandent pourquoi je marche si vite. Si je semble heureuse ils vont certainement se dire que je vais retrouver quelqu'un que j'aime. Faire croire quelque chose aux autres pour se protéger. J'arrive vite à l'hôpital. Je sais qu'à cette heure-ci il fait une courte pose et manger un sandwich en vitesse avant de reprendre le travail. Je rentre dans l'hôpital et salue Natae, toujours à l'accueil.

-        Qu'est-ce que tu fais ici ? me demande-t-il gentiment.

-        La femme de Gabany m'a demandé de le prévenir que ce soir elle rentrera plus tard. Ce n'est pas long ne t'inquiète pas.

Toujours un grand sourire aux lèvres et cela passe.

-        Il est au premier étage, dans son bureau normalement.

-        Merci !

Je monte les marches quatre à quatre. J'évite de regarder le panneau indiquant l'étage des urgences. Il me rappelle trop de mauvais souvenir. Je chasse la sensation de sang sur mes mains. Je trouve facilement son bureau, surmonté de l'écriteau « Médecin Gabany ». Je frappe à la porte et l'ouvre. Il est assis dans un fauteuil. Il mange en triant de la paperasse. Il ne s'arrête jamais de travailler. Ce genre de vie ne me donne pas du tout envie.

-        Tery, il s'étonne.

Je m'avance vers lui et, sansgêne, prends une chaise et m'installe près de lui.