44. Une vague dorée tâchée de rouge

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Les hommes doivent souffrir leur départ comme leur venue ici-bas ; le tout est d'être prêt.

William Shakespeare, Le Roi Lear

Mon cœur défaille. Meurtri une première fois au son de mon prénom dans sa bouche, et une seconde fois à l'annonce de Matt et Wyden. Il ne les a pas encore. Ils sont plus forts, ils ne se laisseront pas faire. Alors que mon cerveau crie que Wyden est affaibli et que mon meilleur ami a le dos labouré, mon cœur se bouche les oreilles.

Le général Victhorion, de sa stature imposante, nous ordonne ne nous placer en ligne. Peu rassurée, mais heureuse d'être proche de mes amis, je m'approche d'eux. Nous sommes encerclés de guerriers. Ils doivent être une vingtaine. Un homme, peu grand, s'avance près du général. Son visage marqué par les années n'exprime pas la sympathie. Je me creuse la mémoire à la recherche de son nom. Soudain, une lumière s'éclaire. C'est ça : Artenthus, le bras droit de Victhorion.

Nous restons là, immobile, et l'attente me paraît interminable. Je sens chaque seconde couler sur ma peau, sans jamais toucher le sol. Le vent caresse ma nuque découverte par mes cheveux, volant dans l'air marin. Un rayon caresse l'herbe et vient s'écraser sur les cheveux poivre et sel du petit homme aux sourcils froncés. C'est étrange comme nous sommes là, les mêmes, et pourtant si loin de nos maisons. Quand je pense qu'il n'y a encore pas si longtemps, je vivais près d'eux, dans une maison ensoleillée, à m'entraîner au sous-sol... C'était il y a une éternité.

Soudain, je tends l'oreille. Des craquements, signe de vie, se rapprochent. C'est eux. Les guerriers sont-ils revenus avec Matt et Wyden ou arrivent-ils la queue entre les jambes ?

Ma tête se tourne, observant les buissons verdoyants frémirent. Un guerrier apparaît mais mon cœur se serre lorsque je reconnais ces boucles couleur chocolat dépasser derrière lui. Lorsque le premier arrivant se décale, mes yeux fondent dans ceux de Wyden. Une vague de tristesse s'en échappe et s'échoue dans mon regard. Dans un froncement de sourcils, il retrouve toute sa hauteur et son sang-froid. Alors, ils continuent de s'approcher je redoute l'instant où Victhorion verra Matt. Ma gorge se noue en pensant à mon meilleur ami qui a désobéi au général et au Conseil pour s'enfuir et me retrouver. Je redoute une sentence hâtive, et pourtant décidée depuis bien longtemps.

Les quatre hommes sont maintenant figés devant nous. Le général les observe un à un, et, d'un mouvement maîtrisé, il incite mes co-équipiers à me rejoindre.

- Nous vous attendions.

Je peine à avaler ma salive, en attendant la suite. Cette situation semble si surréaliste et inévitable. Le général croise les bras et inspire lentement. Ses yeux d'un bleu glacial et pourtant si profond, nous examinent patiemment.

- Tout d'abord, sachez que je suis heureux de nous revoir tous les quatre. Même si, pensez bien, j'aurai préféré que cela soit dans d'autres circonstances.

Mes sourcils se froncent. Ai-je bien entendu ? Je regarde autour de moi afin de voir de qui il parle. Pourquoi quatre personnes, qui est cette quatrième personne ?

- Seulement, le destin choisit souvent pour nous.

Il marque une pause, entamant un long silence inconfortable et déstabilisant.

- Mais aujourd'hui c'est vous qui allez décider à sa place. Bonne nouvelle, non ? Tente-t-il dans un sourire mielleux. J'aimerai savoir avant quoi que ce soit ce que vous fichez ici et pourquoi avez-vous cela à la main ?

Lorsque ces derniers mots s'échappent de sa bouche, son visage se durcit. Il n'a pas besoin de décroiser ses bras pour montrer à qui il s'adresse, son regard est assez clair. Il me dévisage. Je me rends seulement compte que j'ai gardé tout ce temps la fiole dans ma main. Il sait très bien ce que cette dernière contient. Il n'est pas bête, il ne croit pas un instant que je l'ai prise sans savoir de quoi il s'agissait. Je n'ai pas besoin de répondre.

- Theresy, donnez-la moi.

Mon prénom, dans sa bouche, me fait frissonner, me rappelant de mauvais souvenir. Son ton n'est pas quémandeur, il est ferme. Je ne regarde pas Matt pour lui demander quoi faire, je soutiens le regard de Victhorion. 

GuerrièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant