49. Froide chaleur d'une bougie (part. 2)

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La pénombre se transforme en obscurité totale. C'est oppressant. A quoi m'attendais-je ? Il est tard, le général doit dormir. Soudain, un craquement m'immobilise. Un éclair. Une flamme rougeoyante s'élance et s'étend sur une corde fine. Ses couleurs chaleureuses ne réchauffent pas mon cœur. La bougie prend peu à peu ses aises. Et, une main abîmée par la vie en entoure le manche et la dépose dans une soucoupe aux milles facettes. L'éclat se fait plus grand. C'est alors que je discerne correctement le visage du général, éclairé par cette douce lueur. Ce dernier ne semble pas surpris de me voir. Jusqu'alors allongé, il s'assoit d'abord sur son lit de fortune puis pose un regard froid sur moi. D'un coup d'œil je vérifie qu'il n'y a personne d'autre avec nous. C'est bon. Le contraire m'aurait étonné.

- Je pensais avoir été assez clair aujourd'hui. Visiblement, la leçon n'a pas été assez explicite.

Son visage s'apparente plus à celui d'un enseignant rouspétant qu'à celui d'un guerrier menaçant. Au souvenir de cette leçon, une bouffée de haine monte en moi. C'est alors je prends conscience du risque que je viens de prendre. Cependant, je ne m'en soucis pas réellement.

- Ne t'en fais pas, ni la lumière ni les mots ne traverse ce tissu.

Mon regard ne lâche pas le sien. Je ne suis pas sûre de ce qu'il avance, mais je ne me vois pas vraiment lui demander des preuves étant donné que c'est moi qui suis venue à sa rencontre.

- Je n'aime pas être épié par mes hommes.

Son regard froid n'exprime rien d'autre qu'une neutralité écrasante. Et, le mien refoule une rage grandissante à la vue de l'assassin de mon ami.

- J'espère que vous avez pu vous reposez, commencé-je sans en penser un mot avec un sourire au coin des lèvres.

- Il n'y a de repos pour l'esprit que dans l'absolu. (Un silence.) Si vous vous le demandez, ces mots viennent du philosophe Amiel. Les classiques se perdent, souffle-t-il.

Même s'il affiche son regard habituellement impassible et d'une froideur à faire givrer le soleil, je n'ai pas de mal à apercevoir les brumes somnolentes qui troublent encore son esprit. Je ne l'avais encore jamais entendu citer un homme de l'Ancien Temps. Je le toise, attendant quelques instants de saisir le sens profond de ces paroles. Savoir qu'il n'arrive pas à bien se reposer me fait du bien. J'espère que ses actes le rongent la nuit.

- Je ne suis pas ici pour vous parler de philosophes décédés depuis plusieurs siècles. Je ne suis pas non plus ici pour vous parler de l'Ancien Temps et ce qu'il nous en reste.

- Pourtant vous devriez.

Je ne relève pas sa pique, concentrée, et fixe mon regard dans le sien. Même à la lueur de cette bougie, la pâleur de ses yeux me frappe.

- Ce qui nous concerne tous aujourd'hui, c'est le présent.

Ses sourcils se froncent et ses yeux s'assombrissent.

- Si vous êtes venu dans l'intention de venger votre ami, je vous trouve encore plus sotte.

Une vague d'énervement imbibe mon corps. Je ne la laisse pas m'emporter. Ce n'est pas encore le moment. Je dois rester calme.

- Gardez vos remarques pour vos hommes, je n'aime pas entendre vos suppositions douteuses. Encore moins lorsque ces dernières sont infondées.

Son expression change. J'ai bien vu que ma présence l'amusait plus qu'autre chose jusqu'à présent. Maintenant, il n'apprécie plus cette petite comédie. Il me regarde comme une mouche, amusante de loin, et agaçante lorsqu'elle résiste.

- Que comptez-vous faire de la fiole ?

Je me fiche royalement de la réponse à ma question. Le général pose un regard méprisant sur moi. Je ne suis qu'une idiote à ses yeux, et je comprends cette pensée vu ma demande. Seulement, il ne se doute pas de ce que j'ai réellement derrière la tête.

- Je vous pensais plus assidue et attentive lors des réunions du Conseil. Cela est à croire que votre impertinence n'a pas de borne.

Je m'attendais à voir un sourire hautain franchir ses lèvres, mais il n'en est rien. Son visage reste impassible. Je ne sais pas s'il est au courant de ma petite altercation avec son bras droit, mais, à en juger par son attitude lorsqu'il m'a vue, je ne pense pas.

- Je vous ai déjà demandé de garder vos pensées pour vous. Maintenant, répondez-moi.

Une contraction imperceptible traverse sa mâchoire. Sans me répondre, il se lève. Sa haute stature ne peine pas à me dépasser d'une bonne tête.

- Qui vous a dit que cela était vous qui donniez les ordres ?

Je ne me démonte pas, savourant le déroulement parfait des événements. Le corps droit et le menton haut, mon visage reste fermé, semblable au sien.

- J'ai quelque chose qui vous intéresse. Ou plutôt quelqu'un, ajouté-je devant son haussement de sourcils.

- Vous seriez capable de me livrer le sergent ?

Cette fois-ci, cette question sonne vraie. Il attend une réponse.

- Que ferai-je d'un homme déloyal à mes côtés ?

Mon visage exprime le dégoût. Seulement, il ne concerne pas le sergent dont il est question mais l'homme qui se tient face à moi. Ses yeux me détaillent, guettant la moindre faille.

- Malgré son comportement puéril, votre père a su vous inculquer quelques valeurs essentielles, sourit-il.

J'esquisse un sourire cordial.

- Le Conseil souhaite punir Mattelos pour son échec, et je lui serre sur un plateau d'argent.

- J'aurai pu me saisir de lui aujourd'hui-même si je l'avais voulu.

Ses yeux se plissent légèrement, fières et sceptiques.

- Mais vous l'avez laissé filer. Que pensera le Conseil lorsque vos hommes et votre bras droit lui raconteront cela ? Vos hommes obéiront-ils toujours à un général qui a failli à sa mission ? Vous savez ce qu'il advient à ces généraux.

Je n'ai pas besoin de plus développer, Victhorion comprend tout de suite à quoi je fais allusion. Le Conseil ne s'encombre pas d'hommes incompétents. Ce serait une bouche en trop à nourrir.

- Vous ne pourrez plus toucher au sergent sans mon aide. Il s'est fait prendre une fois, pas deux.

- Que demandez-vous en échange ?

Son ton rigide sonne convaincu à mes oreilles. Peut-être est-ce juste le reflet de mon envie étant donné qu'aucune émotion n'est gravé dans son visage de marbre.

- Presque rien. Seulement quelques réponses simples, rien de dangereux, je souris.

GuerrièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant