37. Nuit Sanglante

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Malcolm - Que ceci soit la pierre où votre épée s'aiguise ! Que la douleur se change en colère ! N'émoussez pas votre cœur, enragez-le !

William Shakespeare, Macbeth






Nous nous écartons de plus en plus, la section loin derrière nous. Une fois à une distance raisonnable, nous commençons à courir et alors toute la pression diminue. Et j'enchaîne foulée après foulée, plus vite toujours plus vite que d'habitude. Il m'énerve. Non, je m'énerve. J'étais calme. J'étais en condition. Et il a fallu que je panique. Je m'en veux qu'il me fasse cet effet-là. Je ne suis pas faible. Je ne veux pas être faible. Il ne me fait pas peur. Je le déteste. Il n'est rien. J'ai beau me répéter cela en boucle, j'ai toujours une petite voix qui me chuchotent « Alors pourquoi as-tu fait cette crise d'angoisse ? ». Et je secoue la tête en me disant que ce n'est qu'un homme et que je suis plus forte qu'il ne le croit.

Matt m'interpelle.

- Arrête-toi !

Je ralentis sans réfléchir et attends qu'il vienne à ma hauteur.

- Cela ne sert à rien d'aller aussi loin. Viens, j'ai repéré Shesy. Elle doit nous attendre.

L'évocation de cette fille me fait changer de disque durant seulement quelques secondes. J'acquiesce et marche à ses côtés. En effet, rapidement sa chevelure, presque fluorescente, attire mon œil. Elle se retourne à notre approche et fronce les sourcils. Sans la nuit pour me tromper l'on pourrait croire qu'elle est inquiète. Elle s'avance et nous interroge du regard.

- Vous en avez mis du temps ? Tout va bien ? sa voix se presse pour sortir d'entre ses lèvres.

Je hoche la tête. Ma main gauche tremble encore. Je la cache discrètement derrière moi, mais avant que je ne termine mon mouvement Shesy relève mon poignet. Elle pose ma main dans sa paume. J'expire lentement en ordonnant mentalement à ma main d'arrêter cela tout de suite. Je serre la mâchoire et pense cela si fort que celle-ci devient soudainement immobile, m'étonnant moi-même.

- J'ai cru que tu tremblais, chuchote-t-elle.

Je secoue la tête en fronçant légèrement les sourcils, un sourire aux coins des lèvres.

- Tout va bien.

Je suis surprise par sa vue. Malgré cette nuit oppressante étranglant tous nos mouvements, elle a réussi à percevoir ce frissonnement. Tandis que je m'extasie devant elle en respirant profondément, elle demande ce que nous avons conclu vis-à-vis de Jonas et de l'emplacement du remède. Matt me lance un regard en commençant par en déduire qu'il vaudrait mieux retourner près des autres. Nous aurons le temps de parler sur le chemin. Elle acquiesce et nous nous mettons en route. Shesy nous donne à chacun un animal mort à porter.

- J'ai fouillé tous les documents et rien. Il n'y avait aucune indication à ce sujet, ce qui signifie que, même si ça ne nous plait pas, Jonas n'a pas menti. Cependant, nous avons... surpris une conversation.

Matt ne continue pas, laissant les questions de Shesy en suspend. Il semble se repasser tout le dialogue en tête afin de n'en oublier aucune virgule. Quand la fille de Lesly se décide enfin à le questionner d'avantage, il prend une grande inspiration dans cet air agréablement humide de la nuit.

- Victhorion est le seul à connaître la marche à suivre et le lieu exact du remède. Faire parler un guerrier ou ne serait-ce que son bras droit ne servirait à rien.

- Je vois. Donc on pourra pas aller le récupérer avant eux, il voudra le leur voler si je comprends bien.

Sans faire significativement attention à sa remarque, Matt reprend.

- Cependant, il marque une pause, il compte envoyer des éclaireurs avant de, lui et sa section, en prendre possession.

Shesy approuve d'un petit son guttural. Nul besoin de lui expliquer en détaille comment nous comptons intervenir dans l'équation, elle l'avait deviné avant que mon meilleur ami ne termine sa phrase. Il faudra rester discret, ne pas se faire remarquer, et alors découvrir ces fameuses coordonnées. Le jour où cela arrivera me paraît si loin, mais pourtant l'heure tourne et demain sera là plus tôt que je ne peux le penser.

Nous marchons à vive allure. Bientôt je distingue des silhouettes, assisent sagement. Les voilà. Je me glisse à leurs côtés en posant l'animal au sol.

- Et bien ! Vous nous ramenez des belles choses ce soir, s'exclame Thaym. Ça tombe très bien parce qu'on meurt de faim par-là.

- Dans ce cas sort les allumettes de mon sac et allume-nous un feu, je lui souris en guise de réponse.

Je sais qu'il faut que nous fassions cuir la viande, mais l'idée de faire un feu la nuit me crispe. Des guerriers pourraient nous voir, ou des créatures. Un frisson me parcourt. Je prends une inspiration en tentant de me détendre. Pour l'instant nous allons commencer par nous asseoir, nous verrons la suite plus tard. Et puis de tout manière, est-ce que nous avons vraiment le choix ? Non.

Pour calmer les milliards de pensées qui fusent dans ma tête à propos de Victhorion, du remède ainsi que de ce feu, je décide de me concentrer sur la vue de Thaym se battant avec la boîte d'allumette. Après en avoir sorti une, il la craque et l'approche de quelques brindilles surmontées de deux fins bouts de bois. Ils ont dû préparer le bois pendant que nous chassions. Le feu prend peu à peu, mordant les écorces sèches avec hargne. Une douce chaleur lumineuse nous enveloppe de son voile attendrissant. Rapidement les flammes viennent lécher le bois, puis la viande. Cette danseuse imprenable, laissant tournoyer sa jupe rougeoyante fait rayonner le sourire de Thaym, fière de son feu, d'un éclat nonchalant. Dans ses yeux émeraude brille une lueur pyromane mais si belle que je me plais à la contempler à en oublier tous tracas quelques courtes minutes. Cette brûlante cadence m'ensorcelle et me réconforte.

Quand soudain Wyden change de position à ma gauche. La nouvelle position qu'il adopte colle nos deux jambes et un autre frisson me parcourt vivement. Une décharge qui me ramène durement à la réalité, me sortant de cette image fantastique. Et alors un autre problème vient s'ajouter à ma liste : Wyden. Je ferme les yeux. J'ai une horrible envie de profiter de ce contact, aussi ridiculement petit soit-il, mais je me l'interdis et bloque cette pensée. Je secoue la tête. Non, ce n'est rien. Si mon genou avait touché par mégarde celui de Jonas je n'aurais pas réagi de la même façon. Ce n'est rien. Mais impossible de me replonger dans mon admiration pour ce simple feu. Sans cesse mes nerfs me lancent ce signale m'informant de cette présence. Et tout revient encore et encore à cette jambe qui touche la mienne. Je pourrais m'écarter pour arrêter tout cela, mais je dois avouer que je n'en ai pas envie.

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