51. Interlude réfléchie

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Un homme honnête, par le temps qui court, on en rencontre un sur dix mille.

William Shakespeare, Hamlet

La nuit bat son plein, les étoiles dansent. L'odeur d'humus et de la curiosité s'infiltre dans mes narines. Je suis tapie derrière un buisson. Je pourrai partir et retourner à mon propre campement, cependant je ne me précipite pas. Allons sagement et doucement, qui court vite trébuche, m'a enseigné mon père. Alors, soustraite aux regards des deux gardes éveillés, je réfléchis. Certes j'en veux au Conseil, mais ai-je besoin d'autres personnes pour lui faire payer ses crimes ? N'oublions pas que cette personne était la main armée qui exécutait ces crimes en question. Toutefois, cela serait narcissique de penser que seule je puisse y arriver. Même avec l'aide de Wyden, Matt ou Thaym et Shesy. Peut-être que nous y arriverions, mais pour cela nous avons besoin de coups de mains. Nous avons besoin de personnes et habitants vivant dans l'enseigne-même de la ville. Brion pourrait nous aider, c'est un très bon ami et camarade de Matt. Et il m'a semblé que l'on s'entendait bien. Son air bienveillant et attentif me manque quelques fois.

Le général serait aussi très utile, mais d'une façon différente. Même si le Conseil n'a pas une entière confiance en lui, il reste le général et a une forte autorité sur toute la ville. L'avoir dans notre manche n'est pas bénin. Cependant, je ne lui fais pas confiance non plus. Je n'oublierai jamais ce qu'il a fait à Jonas.

Afin de garantir sa parole, il nous a donné rendez-vous à Matt et moi demain soir, à la tombée de la nuit. Bien sûr, je n'ai pas accepté de venir dans sa tente, encore moins avec Matt. Ce serait un piège bien trop évident. C'est à lui de nous prouver quelque chose, pas à nous de prendre des risques inconsidérés. Il m'a assuré qu'en gage de bonne foi, il répondrait à toutes nos questions, y compris celles concernant nos parents. Ce sont des informations, normalement, qu'il n'aurait jamais le droit de formuler. Ne serait-ce que de me dire cela, en me laissant partir, lui vaudrait une exécution de la part du Conseil si l'on tient compte de ses antécédents. J'aimerai beaucoup convaincre Matt de le rejoindre demain. Je le crois sincère, même si moi je ne le serai pas avec lui. Je prendrai des précautions. L'avoir à nos côtés serait un atout inestimable. Et, je suis prête à me contrôler et mettre mes états d'âme de côtés pour cela. Pourquoi ? Puisque c'est un homme puissant au sein de Westen, et donc utile à défaut de ne pas avoir de remède, et que depuis près de 8 années je ne demande que des réponses sur ce qu'il est arrivé à mes parents. Ce qu'il leur ait réellement arrivé. Tout est bien trop flou. Et même s'il me ment, au moins j'aurai tenté ma chance. Et s'il essaie de me tuer, il n'y arrivera pas car j'aurai pris des précautions. Je convaincrais Matt. Et les autres suivront. Ou du moins je l'espère.

Virevoltant parmi mes pensées, j'ai jugé bon d'écouter d'une oreille la conversation des deux gardes.

- ... est arrivé il y a trois jours. Oh, tu ne savais ?

Ils essaient sûrement de se tenir éveillés en se racontant les potins. Même si cette section se constitue exclusivement d'hommes, je serai étonnée que certaines rumeurs ne circulent pas. Nous avons beau dire, homme comme femme, beaucoup – trop à mon goût – aiment les histoires.

- Je ne l'avais pas vu arrivé. Tu penses qu'il a été envoyé par...

Je n'entends leurs paroles que par bribes, lorsque le vent ne fait pas frétiller les feuilles larges m'entourant.

- ... si, il est mort. Apparemment, il avait aidé quelqu'un...

Encore une histoire d'exécution, rien de nouveau. Eliminer les opposants ou les libéraux, c'est une bonne façon de contrôler un peuple pour certains. Ma bouche se plisse. Alors que je m'apprête à m'en aller, un mot retiens mon attention. Ou plutôt un nom.

- Mais oui, je me souviens de lui. On était ensemble durant nos cinq années de formatio...

Le vent secoue mes cheveux, que je plaque instinctivement contre l'arrière de ma tête.

- ... trop gentil. C'était à prévoir que Brion aiderait cette fille, tu sais la fille de l'ancien...

Un instant je ne comprends pas. Je ne comprends que trop bien. Je ne sais plus. Je me souviens si bien. Ce morceau de galette qu'il m'avait donné. Je n'avais plus rien à l'époque. Plus de ville. Plus de maison. Plus d'arme. Plus de frère. Et il m'avait apporté ce sac que je porte encore. Mes yeux se ferment violement. C'est ma faute. Ma gorge se noue. Mon cerveau crie. Je n'aurai jamais dû lui demander une chose pareille. Il a été exécuté à cause de moi. Et je ne l'ai pas su avant. Je l'ai tuée. Je ne vaux pas mieux que le général. Une larme roule sur ma joue. Il était si gentil et doux. Il m'avait souri au moment où tout autre citadin m'aurait injuriée. Blessé essoufflé et fatigué, mon cœur me supplie de respirer. Alors, j'inspire. J'expire. Et j'inspire une nouvelle fois. J'avale toute ma tristesse, ma colère, ma rancœur, ne laissant d'une détermination pleine d'ardeur, de force et de volonté. Non, je ne suis pas la seule responsable. Le Conseil l'est tout autant. Il aurait pu choisir de fermer les yeux, pour une fois.

Je dois faire quelque chose. Je dois arrêter toutes ces atrocités et oppressions. Je dois m'allier à Victhorion.

Face au vent, je slalome entre les buissons. Etendant machinalement mes foulées, mes pensées restent disciplinées. Je dois trouver Matt. Une colère monte dans ma gorge. Une douleur lancinante. Je me force à la faire basculer en direction du Conseil. Ce n'est pas le moment de m'énerver comme Matt. Ce n'est pas le sujet. Je dois mettre cela de côté. Une petite voix me questionne, doutant de cela, en me rappelant tout ce que je lui reproche. J'inspire. Ce n'est pas. Le sujet. Nous en parlerons plus tard. Tout de suite, je ne veux pas. Je n'ai pas le temps ni l'énergie de penser à cela en plus du reste.

Le vent soulève mes cheveux courts, les tirant en arrière. Je ne tarde pas à retrouver mes amis. Je ralentis le pas, sentant la pulsation familière de mon cœur résonner dans ma poitrine. Je discerne à la pâle lumière de l'astre lunaire trois silhouettes allongées à même le sol. La quatrième est debout, face à moi.

- Tu es là, soupire-t-il.

GuerrièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant