34. L'Attachement

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Une femme repousse parfois ce qui la charme le plus.

William Shakespeare, Les deux Gentilshommes de Vérone.

La nuit est tombée et nous devons dormir. Je leur souhaite bonne nuit et m'allonge près d'un arbre. Tournée sur le côté, je vois Wyden et Matt, comme moi, étendus au sol. Je ne regrette pas d'être ici avec eux trois, et non seulement avec Matt. Je regarde mes deux co-équipiés, suivant les contours de leurs ombres des yeux. Sans prévenir, des iris gris se plongent dans les miens. Prise en flagrant délit, je ferme brusquement les yeux, feintant un sommeil profond.

Je regrette déjà mon geste. Pourquoi j'ai fermé mes yeux dès qu'il m'a regardé ? C'est vraiment n'importe quoi. Je devrais plutôt être la personne qui soutient le regard, sans aucune gêne, jusqu'à ce que l'autre le détourne. Pas celle qui fuit un simple contact visuel. Je souffle. Peu importe, « ce qui est fait est fait et ne peut se défaire » comme disait mon père. Alors, je me concentre plutôt sur la gravité qui m'écrase au sol tandis que je me laisse aller. Et je sombre.

Ce matin, c'est donc Jonas qui me réveille, comme je lui avais demandé, avant de sortir Matt et Wyden de leur sommeil. Il me tend la main pour m'aider à me mettre sur pieds. Je l'accepte. J'ouvre la bouche mais il me fait signe de ne rien dire.

- Pas maintenant. On en parlera plus tard.

Je me fais violence pour ne pas insister, sentant ma curiosité grandir peu à peu. Mais je sais que je dois me dépêcher puisque si je lui ai demandé de me lever avant les autres c'est pour une unique raison. Me laver sans risquer des regards indiscrets. Et puis, je fais confiance à Jonas sur le fait de me laisser mon intimité, d'autant plus qu'il n'est pas attiré pas les femmes. C'était donc plus facile pour moi de me nettoyer à cette heure-là plutôt qu'après Matt, Wyden et Jonas hier soir. Je sais très bien qu'eux aussi auraient peut-être bien aimé faire comme moi, que je ne suis pas seule au monde à vouloir cela seulement puisque je suis la seule femme du groupe, mais... Enfin bref, me voilà.

Je m'avance sur la berge, laissant Jonas derrière moi. Le savon sèche encore sur un galet, près de quelques vêtements que nous avons lavés avec parmi eux ma tenue de soldat. Après un rapide regard à 360 degrés, plus pour ma sécurité que pour voir si quelqu'un peut me voir, je retire mes habits. Je me glisse alors dans les frais remous que m'offre l'eau. Je sens le contacte apaisant contre toutes les parois de mon corps. Je suis assise, avec seulement le haut de mon buste dépassant de l'eau. Je me penche alors en arrière laissant mon visage rencontrer ces petites vagues. Mais, une image surgit dans mon esprit et je sors brusquement ma tête hors de l'eau. Je regarde autour de moi. Personne. Pourtant, je ne me détends pas totalement. Lorsque je suis entièrement sous l'eau je suis vulnérable. Un guerrier pourrait s'approcher à tout moment et me surprendre dès que je sortirai mon visage de la rivière. D'autant plus que le bruit de celle-ci ne jouerait pas en ma faveur.

J'attrape le petit savon blanc et frotte mon corps avec, jusqu'aux pointes de mes cheveux. Je plonge encore, mais le rapidement possible. Je ne veux pas m'attarder. En sortant de l'eau, je me demande avec quoi les garçons se sont essuyés. J'aurai peut-être dû me poser la question avant. Lorsque j'ai été exilé de Westen, je me contentais de sécher au soleil. Sauf qu'il n'y a ni le soleil, ni le temps. Je n'ai pas non plus pris mon sac où j'aurai peut-être pu y trouver un tee-shirt qui aurait pu me servir comme tel. Je regarde autour de moi Je prends ma veste en cuir et l'enfile à l'envers, de sorte à ce qu'elle cache ma poitrine. Je mets mon débardeur devant mon intimité et j'appelle Jonas. Il me réponde mais avant qu'il ne vienne je lui dis de rester là où il est.

- Avec quoi vous vous êtes essuyés ? Tu n'aurais pas une serviette par hasard à me passer ?

- Oui j'en ai une, elle est euh... là. Je te l'amène d'accord ?

- Reste retourné tu veux.

- Tu veux que je me prenne un arbre ou quoi ?

Même s'il s'offusque, je maintiens ma position. C'est comme cela que je l'entends souffler et marcher à reculons. Il manque de tomber en trébuchant sur une racine et jure en se rattrapant. Il allait finir en se tournant mais je le rappelle à l'ordre. Le fait qu'il soir gay n'est pas une excuse. Il me jette alors la serviette à l'aveuglette. Je lui lance un merci en la récupérant.

- Qu'est-ce que je ferai pas pour toi, râle-t-il en s'éloignant.

Je m'essuie, enfin, en souriant. 

GuerrièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant